Littérature étrangère

Colm Toíbín

Long Island

✒ Ophélie Drezet

(Librairie La Maison jaune, Neuville-sur-Saône)

En 2011 sortait Brooklyn, où nous suivions Eilis Lacey, une Irlandaise dans les années 1950, qui partait à la conquête du rêve américain. Nous la retrouvons une vingtaine d’années plus tard dans un concentré de douceur, de justesse et de sincérité sur le sentiment amoureux, le manque et le retour aux racines.

Eilis Lacey est une mère de famille classique dans les États-Unis des années 1970, avec une famille parfaite, un mari parfait et des enfants parfaits. Sa jeunesse est loin derrière elle, tout comme son Irlande natale où elle n’est jamais retournée. Jusqu'au jour où un inconnu frappe à sa porte et lui annonce que sa femme est enceinte de son mari. Pour Eilis, pas question d'accueillir le bébé d'une inconnue, fusse-t-il aussi celui de son mari ; sa belle-famille, aussi famille de substitution, italienne, diablement envahissante et aux avis bien tranchés, ne comprend pas son entêtement. Bouleversée, elle rentre en Irlande, prétextant l’anniversaire de sa mère (l’Irlande natale, farouche, adorée de l’auteur), où elle n'a pas mis les pieds depuis plus de vingt ans. Là-bas, malgré le temps qui a passé, tout est resté identique : la ruralité fige le temps et la modernité américaine est bien loin. Sa mère demeure obstinée et taiseuse, bloquée dans ses habitudes, au point de refuser un réfrigérateur offert par sa fille. Son frère vit dans une cabane et se laisse porter par le quotidien. Le paysage de la ville a conservé les mêmes boutiques, les mêmes pubs et Jim Farrell. Jim Farrell avec qui Eilis entretenait une liaison passionnelle et qu’elle a quitté subitement sans une explication vingt ans plus tôt pour rejoindre les États-Unis. Jim Farrel, connu dans le village comme éternel célibataire mais prêt à se marier en secret avec Nancy, ancienne amie très proche d’Eilis. Et leurs regrets, leur jeunesse et leurs souvenirs sont liés à elle et à sa perte sans raison. Mais leur amie est de retour et l’explosion lente des émotions s’insinue dans les cœurs à travers les silences, les non-dits et les espoirs avortés. Et rien de plus universel et de plus intense que des personnes prenant des décisions qu’elles savent irrationnelles, prises dans le tourbillon des sentiments et des émotions qu’elles ne maîtrisent pas. L’Irlande porte avec une grande force les destins de ses habitants ; l’énergie sauvage qui se dégage de ses paysages exalte les passions. Bien sûr, avec ce simple résumé, nous sommes simplement face à des personnes qui se sont rencontrées trop tôt ou trop tard, un retour au pays et des vies pleines de regrets et de choix ; la littérature n'est faite que de ça. Mais peu sont capables de le faire avec la subtilité et la finesse de Colm Toibin ; et cette douceur, parmi des sujets souvent difficiles dont la littérature est friande, fait un bien qui réchauffe le cœur et l'âme.

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