Littérature française

Adeline Fleury

D’ombre et de lumière

L'entretien par Ophélie Drezet

Librairie La Maison jaune (Neuville-sur-Saône)

C’est au cœur d’un petit village normand que nous emmène Adeline Fleury pour son nouveau roman Le Ciel en sa fureur, récit lumineux d'un village empêtré dans son passé et ses croyances. L’écriture sent bon la boue et la terre, avec une immense place laissée à la lumière, aux légendes et à la magie.

Pourquoi investir le terrain du roman rural ?

Adeline Fleury - J’ai grandi dans le Cotentin, là où se passe le roman. Mes amis étaient des filles de paysans, d’éleveurs de vaches ; j’ai beaucoup pratiqué l’équitation. Ce milieu-là a bercé mon enfance et mon adolescence. Après avoir écrit longtemps sur le corps féminin, sur des sujets plus intimes, j’ai eu envie de me lancer dans un texte beaucoup plus romanesque avec des personnages ancrés dans un territoire que je connais bien et auquel j’avais envie de rendre hommage.

 

Comment avez-vous réussi à rendre ce roman si boueux, si terreux mais pourtant très lumineux et plein d’espoir ?

A. F. - Je pense avoir une écriture assez sensorielle. Je prête une attention toute particulière aux odeurs, au touché, aux embruns, à la boue, à tout ce qui lie mes personnages à la terre et au terroir. Les deux personnages féminins viennent de la ville, elles ont besoin pour faire partie de ce territoire de toucher, d’être au plus près des marécages : ça sent la vase, ça offre un terreau romanesque plutôt noir, ce qui m’a permis de travailler sur la lumière. Les deux femmes, même si elles vont découvrir un secret assez terrible, enfoui, vont se rencontrer et se découvrir.

 

Julia et Stéphane, les deux personnages principaux, sont rationnelles, citadines mais vont voir leurs convictions flancher au fur et à mesure parce que cette terre est baignée de légendes ancestrales, de légendes enfouies. Pourquoi laisser une telle place à la magie et aux légendes ?

A. F. - Je voulais écrire un roman à la fois réaliste et magique. On parle de réalisme magique en littérature sud-américaine. J’avais envie d’explorer ce genre en France, aussi suis-je allée consulter les légendes et les contes locaux et ancestraux. J’ai lu et relu la légende du Varou, de l’enfant-fée, des gobelins. Je pense que cette féerie permet de rendre poétique une campagne qui est parfois violente, dure et rugueuse.

 

D’ailleurs, l’enfant-fée, qui est nommé comme ça tout le long du texte, est un garçon mystérieux : on ne sait pas trop qui il est, on sent qu’il est innocent mais qu’il peut être coupable parce qu'il est rejeté et méprisé par les autres. Pourquoi lui accorder une importance majeure dans ce texte ?

A. F. - En vérité, il y a deux enfants-fées : un du passé et cet enfant-fée actuel qui est un petit garçon un peu différent : il est très blond, étrange, rôde partout où l’on trouve des cadavres d’animaux. Il est mutique, poétique, précoce et sent tout plus puissamment. C’est un personnage qui m’est apparu tout de suite, dès les premières pages. Il va surtout offrir un pendant à l’autre personnage qu’on pourrait qualifier de marginal, ce colosse à la fois féroce et fragile. Je voulais jouer sur ce duo-là : l’un éclaire l’autre et ils se nourrissent l’un de l’autre.

 

Les habitants voient d’un mauvais œil l’arrivée des citadines. Pourquoi est-ce qu'ils redoutent autant ces deux femmes qui sont étrangères ?

A. F. - C’est une campagne que je connais bien avec des gens très méfiants, taiseux, qui n’ouvrent pas comme ça leur maison à quiconque. Ces deux femmes gênent parce que ce sont des femmes et elles occupent des métiers d’hommes. La grande Stéphane quitte la capitale pour devenir maréchale-ferrante et Julia vient remplacer le vieux qui était le vétérinaire des animaux de la ferme du village et va aider les vaches à accoucher. Comme les événements un peu étranges qu’on découvre au fur et à mesure coïncident avec l’arrivée de ces femmes, on s’en méfie.

 

En plus de tous les personnages cités, il y a aussi la Vieille, une femme tout à fait singulière.

A. F. - La Vieille existe un peu, elle est à l’origine du souffle pour me lancer dans ce texte. C’est une rebouteuse, elle coupe le feu et est guérisseuse. Je suis allée voir une dame qui pourrait être la Vieille pour un problème de peau et j’ai vécu quelque chose de puissant. J’étais dans cette pièce où il y avait des mouches qui tournoyaient autour, des odeurs âcres, puissantes. Je ne sais pas si elle m’a guérie mais, en tout cas, elle a déclenché en moi un acte d’écriture et ça vaut toutes les guérisons.

 

 

Dans un petit village normand, un matin, un cheval est retrouvé atrocement mutilé. Les habitants sont convaincus que le Varou est revenu pour se venger d’actes commis il y a des années. Ce n’est pas la conviction de Julia, la vétérinaire, ni celle de Stéphane, la maréchale-ferrante, toutes deux citadines débarquées il y a peu dans ce village. Elles feront face à la méfiance des habitants, elles décèleront les secrets, les légendes et la magie de ces terres, tout en découvrant les possibilités d’une autre vie. Sous la forme d’un conte noir empli de beauté, Adeline Fleury parvient à donner au quotidien âpre et rude un sentiment d’irréalité et de rêve dans lequel nous plongeons avec délice.