Littérature française

Valérie Tong Cuong

Un tesson d’éternité

illustration

Chronique de Murielle Gobert

Librairie Passerelles (Vienne)

Un portrait de femme et de mère, tout en finesse et en puissance, où Valérie Tong Cuong excelle plus que jamais à faire voler en éclats les apparences. Un roman haletant, intense qui pose le dilemme profond de l’amour inconditionnel et de la justice.

Un incident s’est produit dans la pharmacie où travaille Anna, dans ce village très chic de la Côte d’Azur où elle mène une existence idyllique avec son mari Hugues et son fils unique et chéri, Léo. Une femme a volé un produit et Anna porte plainte, car dans la courte lutte qui a accompagné le larcin pourtant sans importance, une de ses collègues a été blessée et choquée. Des années plus tard, Anna ne parvient pas à oublier le visage de la femme pétrifiée, conduite à la maison d’arrêt à l’issue de l’audience. C’est que l’incident, pourtant anodin, a réactivé toute une partie d’elle qu’elle a soigneusement tenue à l’écart pour tenir son rôle, à la fois dans sa famille et au cœur de la petite société bourgeoise dans laquelle elle évolue. Cette première écorchure, qui forme une première brèche dans la cuirasse qu’elle s’est construite, ouvre le roman comme une blessure qui ne se referme pas et nous fait plonger au fil des chapitres dans les failles abyssales d’une femme dont toute la vie s’est construite pierre après pierre sur des ruines. Jusqu’à ce qu’un autre événement la fasse voler en éclats. Le drame viendra de Léo et de sa jeunesse, mais surtout de l’instant décisif et aléatoire qui sépare nos existences normales d’hypothétiques catastrophes. Ces instants où tout se joue à quelques minutes, quelques centimètres qui font être là où il ne faut pas, et pulvérisent à jamais des vies. La narration est construite au plus près d’Anna et l’on ressent comme elle toutes les ondes de choc du drame ainsi que celles, plus insidieuses, qui secouent et distordent les liens qui la rattachent au monde. Le lecteur accompagne jusqu’au bout, dans un crescendo irrépressible, la lutte harassante qu’elle mène pour se libérer de ses propres démons et sauver son fils. Une course contre elle-même qui se joue par millimètres, dans des détails et des creux invisibles de tous, mais que l’auteure restitue grâce à son style brillant, limpide et simple, au plus près de l’émotion.