Littérature française

Kéthévane Davrichewy

Nous nous aimions

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Chronique de Élodie Bonnafoux

Librairie Arcanes (Châteauroux)

D'origine géorgienne, l'autrice de L’Autre Joseph (Sabine Wespieser éditeur et 10/18) nous emmène sur les chemins de l'exil familial, dans ce roman intimiste et délicat, où la grande et la petite histoire semblent tissées de fils inextricables.

Kéthévane Davrichewy nous donne à voir et à penser le destin tragique d'une famille franco-géorgienne malmenée par l'Histoire autant que par les aléas de la vie, à travers le regard de Kessané, la fille aînée. Si son père est né en France, sa mère est née là-bas et a continué à entretenir des liens très étroits avec le village qui l'a vue naître. Ainsi, Kessané et sa petite sœur, quand elles étaient enfants puis jeunes filles, passaient tous les étés dans leur famille maternelle, en Abkhazie (région située à la frontière entre la Géorgie et la Russie), jusqu'à ce que la guerre y éclate. Des séparatistes pro-russes ont effet déclaré l'indépendance de cette région en 1992 (le parallèle avec les événements au Donbass est troublant). À cause de cette terrible guerre, Kessané et sa famille ne reverront jamais leurs montagnes natales et un froid terrible va s'abattre sur les relations étroites qu'elles entretenaient avec leur pays d'origine. Dommage collatéral de la guerre, elle perd aussi le contact avec son premier et grand amour. Après l'épreuve de la guerre et du silence, Kessané va devoir affronter la mort prématurée de son père. Cette disparition brutale est l'épicentre d'un fossé grandissant entre celles qui restent, c'est-à-dire Kessané, sa sœur et sa mère : il était le ciment de la famille et au deuil personnel de chacune s'ajoutent l'incompréhension et la rancœur des autres. La construction de ce roman est particulièrement efficace et ne laisse pas au lecteur le temps de s'appesantir. On lit d'un trait l'histoire de cette famille jadis unie mais dont les liens se dissolvent irrémédiablement avec la perte des racines.