Essais

Alain Corbin

Les Filles de rêve

RG

✒ Rodolphe Gillard

(Librairie des Halles, Niort)

Dans l’une de ses études sur l’histoire des sensibilités dont il a le secret, Alain Corbin replace celles qu’il appelle les « filles de rêve » au cœur de l’imaginaire amoureux des hommes.

L’imaginaire contemporain fait la part belle au versant « vénusien » de la femme, nonobstant toute une tradition littéraire qu’Alain Corbin retrace ici, à sa manière érudite mais jamais pédante. L’amour vénal et la sexualité la plus ouverte triomphent à l’heure actuelle, et ce depuis 1960. Mais les hommes ont-ils toujours rêvé ainsi des femmes ? Ce très bel essai, à la fois historique et littéraire, tente de prouver le contraire en rappelant le côté fondamentalement paradoxal de l’érotisme, fait de dévoilement et de pudeur. Cette figure archétypale de la femme inaccessible, dont la beauté revêt un caractère mythique dans l’esprit des hommes, est l’un des moteurs principaux de toute évocation amoureuse, selon Corbin. Que serait La Divine Comédie de Dante sans la « beauté divine » de Béatrice, dont le salut seul plonge le jeune Dante dans « toutes les extrémités de la béatitude »? Et Ophélie, l’héroïne shakespearienne, qui a si profondément irrigué l’imaginaire romantique : celle à qui son frère Laertes avait recommandé de rester en « retrait de tout désir » et à qui son père ordonne d’« être économe de sa présence virginale », restera pour l’éternité associée à son suicide par noyade. Mais c’est bien Diane, la chasseresse à la chasteté « irréfragable », qui offre un modèle indépassable à ces filles de rêve. Nulle scène ne dit mieux la tension au cœur de ce livre que celle où Actéon le chasseur, pour avoir observé la nudité de Diane, fut métamorphosé en cerf et dévoré par ses propres chiens. Selon Corbin, cette scène symbolise les amours impossibles qui alimenteront plus tard la littérature. Iseult, par exemple, est une lointaine cousine de Diane. Elle est belle, voire belle à en mourir, mais elle est aussi une femme sans corps. L’auteur met en relief la cohérence existant entre chacune de ces figures. Il explique aussi comment cet idéal a fini par s’évanouir.

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