Beaux livres

Claude Eveno

Le Musée imaginaire de Claude Eveno

VM

Entretien par Véronique Mutrel

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Telle une invitation au voyage parmi des chefs-d’œuvre connus ou inconnus, le livre de Claude Eveno, auteur aux multiples talents, offre une promenade en peinture du Moyen Âge au début du xxe siècle, où littérature et numérique se font écho dans un harmonieux échange.

Claude Eveno, urbaniste de formation, cinéaste, homme de radio et professeur à l’École supérieure du paysage pendant de longues années, est avant tout un homme d’images. C’est son parcours qu’il livre ici à travers une sélection d’environ 600 œuvres. Un Monde avant nous emporte dans une traversée des siècles en composant un portrait du monde et de sa représentation. Il y a également beaucoup de générosité dans cette aventure, car c’est bien à un partage que nous convie l’auteur en laissant à son lecteur toute liberté de voir, d’admirer ou de détester, de souscrire ou de rejeter… Ce texte très personnel est accompagné d’un site : www.christianbourgois -editeur.com/unmondeavant/, où l’on peut contempler les œuvres citées, de sa tablette, son smartphone ou son ordinateur. Remercions les éditions Christian Bourgois qui ont rendu cette aventure possible en conjuguant les talents de l’auteur et du créateur de ce site. Saluons cette belle collaboration, aventure inédite où le livre papier et le numérique se font écho et se répondent.

 

Page — Comment vous est venue l’idée de ce livre qui mêle littérature et numérique et comment cette aventure s’est-elle mise en place ?
Claude Eveno — Venu tardivement à l’utilisation d’un ordinateur, vers 2000, je découvre toutes les possibilités qu’offre le numérique. Je suis un homme d’images, également passionné de peinture et collectionne des reproductions sur mon ordinateur – 80 000 images aujourd’hui. Cela se fait progressivement, sans intention préalable, sans volonté de cumuler le plus possible d’images. Je conserve les images qui me plaisent et les classent par nom d’artiste. Fin 2010 s’impose peu à peu l’idée de faire un livre de toutes ces images que j’ai plaisir à regarder régulièrement.

Page — Vous utilisiez ces reproductions pour construire vos images en tant que cinéaste ?
C. E. — Pas du tout. Je n’ai jamais fait de film sur l’art. Si cette culture picturale peut être utilisée, c’est de manière inconsciente. Ma culture cinématographique est à la base infiniment plus grande. Comme tous les gens de ma génération, dans les années 1960, je me précipitais pour aller voir les expositions les plus subversives du moment ou des happenings, mais ma culture première est le cinéma. Et pendant des années je suis allé voir chaque jour des films à la cinémathèque. Je baignais dans une culture cinématographique augmentée d’une culture d’images plus générale, où la peinture avait sa place, ainsi que la photographie. À l’époque, je ne me servais pas directement de l’art, mais j’en étais nourri et c’est ce que j’ai essayé de montrer dans cet ouvrage.

Page — Pourquoi avoir choisi de montrer essentiellement la peinture et de quelle manière avez-vous défini les différents chapitres du livre ?
C. E. — La culture d’images de l’Occident jusqu’au xixe siècle est une culture de peinture. Je ne me suis pas lancé dans cette aventure pour faire une histoire de la peinture, ni même une histoire de l’art. Ce qui m’intéressait, c’est ce qu’a raconté la peinture – figurative essentiellement – pendant tant de siècles. Les chapitres de mon livre – religion, Histoire, nature, peuple – se sont constitués naturellement à partir de mes propres interrogations, auxquelles se mêlent évidemment des éléments autobiographiques. Le questionnement sur la religion s’imposait naturellement, car en tant que fils de catholiques bretons pratiquants, mon enfance a été nourrie par ces représentations à la puissance iconographique considérable. La religion a été un véhicule majeur de l’expression artistique et, bien qu’ayant perdu toute foi, je continue à apprécier cette peinture. En ce qui concerne l’Histoire, je suis d’une génération qui rêvait de faire la révolution. Le choix pour ce chapitre s’est fait autour de toiles représentant des périodes de subversion ou de guerre, symbolisant des moments charnières de l’Histoire. Dans les années 1960, nous voulions changer le monde et c’est cet engagement que j’ai voulu traduire ici. Nos interrogations sur l’Histoire à cette époque étaient constantes et il nous fallait agir sur le présent pour nous projeter dans l’avenir.
Le choix de la nature s’est fait pour une double raison. J’ai passé mon enfance entre la Bretagne et Paris, au sein d’une nature très XIXe dans le Morbihan. Mes grands-pères et oncles étaient chasseurs et avaient des chiens, j’avais ce rapport très fort à la nature. Puis ma formation d’urbaniste m’a également amené à m’intéresser à la nature et j’ai enseigné l’histoire des jardins pendant treize ans à l’École Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage à Blois.

Page — Dans le dernier chapitre, vous présentez une galerie d’autoportraits, comme si vous vouliez mettre le doigt sur la solitude de l’artiste, solitude qui renvoie également à celui qui regarde…
C. E. — « Comme si la rétine d’un peintre était avant tout un instrument d’éloignement, de non-appartenance et d’isolement, quand bien même son œuvre pouvait s’être attachée à montrer l’existence réelle d’un être-ensemble. » (« Le peuple », p.112) Je me suis toujours demandé à quoi j’appartenais et si l’on devait appartenir à quelque chose. Dans le monde d’aujourd’hui, où nous vivons une période de communautarisme galopant, tout le monde se pose des questions d’appartenance identitaire. Lorsque j’avais 20 ans, c’était une question très vulgaire, sans aucun intérêt. Montrer l’être ensemble implique une distanciation intérieure diabolique. Je ne dirai pas cela de la position de l’artiste contemporain, ne serait-ce que parce qu’il y a une prééminence du marché et que l’artiste est avant tout acteur de ce marché.

Page — Le site comme le livre s’intitule Un Monde avant. Est-ce que votre souhait dans cette entreprise est avant tout de transmettre, et envisagez-vous une suite pour le XXe siècle ? 
C. E. — Tout à fait. Mais n’y voyez aucune volonté pédagogique, simplement l’idée de montrer un héritage que chacun puisse s’approprier à sa manière. Cette notion d’héritage tend à disparaître chez les jeunes générations avec l’utilisation d’Internet, car les connaissances étant désormais disponibles sur la toile, la relation à la mémoire et au savoir s’opère différemment. Je laisse à d’autres le soin de s’atteler au XXe siècle, ce travail nécessite un recul que l’on n’a peut-être pas encore. J’espère avoir donné l’envie de se lancer dans des travaux similaires.

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