Dans Labyrinthes, vous prenez comme point de départ les « électrosensibles ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ce phénomène ?
Franck Thilliez - Ce sont des gens qui ne supportent plus les ondes électromagnétiques et qui développent des symptômes graves qui les empêchent de mener une vie normale. La médecine est impuissante. Comme les ondes (téléphones, wifis, antennes) sont quasiment partout, ces individus sont obligés de s’isoler dans les endroits les plus reculés. C’est pour cette raison que Véra, l’un des personnages principaux du roman, vit recluse dans une cabane d’une forêt vosgienne.
Il y a, à l’origine de chacun de vos romans, une thématique centrale à partir de laquelle vous aimez dérouler un scénario noir et complexe. Comment naissent ces idées maîtresses ?
F. T. - Ingénieur à la base, j’aime aborder des sujets qui vont me permettre d’approfondir une thématique avec un angle scientifique. Écrivant des polars, je m’intéresse évidemment à toutes les formes de dérives, y compris dans les domaines de la science. Mais pour que la thématique soit vraiment bonne, elle doit également soulever des questions d’éthique et sociétales. Mes sujets parlent aux lecteurs, ils les concernent : la mémoire, les virus, la psychologie, la mort… Le tout, quand on possède un bon sujet, est ensuite de réussir à l’intégrer dans une histoire passionnante. L’histoire doit primer sur la thématique et non l’inverse.
Depuis que vous écrivez, vous alternez thriller, avec vos personnages de prédilection, et enquête, avec de nouveaux personnages, qui vont davantage sonder les méandres de l’âme humaine. Pourquoi, selon vous, est-ce le bon équilibre ?
F. T. - Alterner entre une série avec des personnages récurrents et des romans indépendants me permet de garder une totale liberté de création. J’adore écrire des histoires avec Sharko et Henebelle, mais ce sont des récits qui imposent une forme de contrainte. L’histoire doit être purement policière, avec un crime et une enquête. Les one shot, eux, permettent d’explorer d’autres formes de récit : huis clos, suspense psychologique, terreur… Pour Labyrinthes par exemple, la forme de la narration est déstructurée, atypique, ce qui donne vraiment au lecteur l’impression de s’enfoncer dans un dédale.
Dans plusieurs de vos romans, on trouve des scènes marquantes, à la limite du supportable parfois. Fin éprouvante, face-à-face glaçants ou découvertes macabres, le lecteur ne peut rester de marbre. Et vous, que ressentez-vous en les écrivant ?
F. T. - J’aime beaucoup écrire ce genre de scènes car je sais qu’elles vont convoquer la peur, le frisson ou d’autres émotions fortes chez le lecteur. À l’écriture, on sent qu’une scène va fonctionner, qu’elle va prendre aux tripes et je crois que c’est ce que recherchent les gens qui lisent mes livres. Elles sont plus faciles à écrire pour moi que celles où les personnages vont manger au restaurant ou sont tranquillement enfoncés dans leur canapé : dans ces moments-là, je n’ai rien à raconter !
Existe-il des sujets sur lesquels vous rêvez d’écrire mais qui vous semblent trop complexes, vastes ou déstabilisants pour les aborder ?
F. T. - Le polar est le genre qui permet d’écrire sur tout, c’est sa force. Je crois qu’on peut parler de tous les sujets, même très durs, à partir du moment où on garde en tête qu’une lecture doit avant tout rester un moment de plaisir. Ça peut sembler paradoxal mais la plupart des lecteurs de polars aiment convoquer la peur car c’est une peur qu’ils maîtrisent : on referme le livre et elle disparaît. Mon dernier roman, La Faille, traite de la mort sous tous les angles, il parle de fin de vie et est jonché de cadavres. Sujet complexe et délicat, et pourtant, les lecteurs en redemandent. Sans doute parce que l’histoire suscite de nombreuses émotions qui donnent à ce grave sujet un caractère romanesque et invite à une réflexion sur notre société.
Craignez-vous parfois de ne pas réussir à surprendre le lecteur ?
F. T. - En permanence ! L’écriture de chaque roman est un nouveau challenge car, après une vingtaine de livres, il faut continuer à se renouveler, innover, inventer, bouleverser. Les lecteurs me connaissent bien désormais, ils pourraient se lasser si j’utilisais toujours le même schéma narratif. Voilà pourquoi il faut en permanence tout remettre sur le tapis et donner le meilleur de soi-même. Écrire, c’est convoquer l’inspiration mais c’est aussi beaucoup de travail.
Labyrinthes commence telle une énigme retorse adressée au lecteur qui n’aura de cesse de tenter de relier les points sans se perdre au cœur de ce dédale. Camille est flic et se retrouve en charge d’une enquête des plus particulières. Au cœur d’un chalet perdu, une scène de crime atroce la cueille : une victime attaquée à coup de tisonnier et une suspecte étrangement atteinte d’amnésie. Pourtant, avant de perdre la mémoire, elle a confié une histoire terrible à Marc, le psy qui s’apprête à la raconter à son tour à Camille. Et quelle histoire ! Cinq protagonistes, des femmes, chacune dans un rôle bien établi à l’exception de l’une d’entre elle, mystérieuse et qui serait le fil invisible de cet effroyable labyrinthe. Jouant avec nos nerfs, nous manipulant à sa guise, Franck Thilliez nous offre une fois de plus un pur moment de lecture. Irrésistible !