Bande dessinée

Christian Durieux

Un enchantement

illustration
photo libraire

Chronique de François-Jean Goudeau

Etablissement Scolaire ESTHUA - Université d'Angers (Angers)

Un dîner est organisé au Louvre à l’occasion des adieux officiels du président de la République, également ancien résident des lieux en tant que ministre des Finances, quand ce dernier en occupait encore la partie connue sous le nom d’appartements Napoléon III. Les traits du haut dignitaire affublé d’un chapeau noir nous sont étrangement familiers et, époque oblige, inspirent au lecteur quelque nostalgie. Le vieil homme, fatigué des hommages-mascarades (le décorum choisi pour ces festivités est celui de la salle de l’emphatique Sacre de l’empereur Napoléon Ier et couronnement de l’impératrice Joséphine , commandé par Bonaparte à Jacques-Louis David) et déterminé à recourir une dernière fois à sa légendaire effronterie, décide de filer à l’anglaise et de ne pas participer à son propre « enterrement », afin de déambuler librement (ou presque, puisque tout le monde est à sa recherche !) parmi ces chefs-d’œuvre auxquels il voue une véritable passion. Également décidé à ne se laisser voler sa fin par personne, l’atypique président se fait la malle en compagnie de… trois breuvages, lesquels se composent de deux excellents Bordeaux et d’une fiole de cyanure. Il s’agit pour lui de régler une fois pour toute le problème des maladies jumelles de son corps et du pouvoir, dans l’art, l’ivresse et la facétie. Une apparition, sous la forme d’une jeune femme énigmatique et fantasque, va pourtant troubler ce funèbre programme et transformer un temps le Styx des couloirs du musée en déambulations philosophiques, esthétiques et libertines. Un dernier et gracieux voyage terrestre, illustré par la fantaisie et la légèreté – opposées ici à la vulgarité et à la pesanteur de l’époque incarnées par un certain président du Conseil italien – d’un Fragonard et d’un Watteau, en particulier Le pèlerinage à l’île de Cythère , tableau rendu célèbre par les interprétations (départ ou retour ?) qui divisent les historiens de l’art ; mais pas notre auteur, qui a choisi la première pour y embarquer son couple aussi improbable qu’attachant.
Christian Durieux signe une bande dessinée à son image : discrète, subtile et élégante. Ce livre est une fête, une fête galante et précieuse à savourer de préférence dans un lieu aimé et retiré, bien à l’abri de la cacophonie stérile du siècle. Une des meilleures parutions de cette année 2011, Bravo !

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