Littérature étrangère

Jessica Anthony

Nage libre

ME

✒ Michel Edo

(Librairie Lucioles, Vienne)

Kathleen est une femme comblée : un mari assureur, un bel appartement, deux enfants. Elle se sent solide et désirable encore. Une vie parfaite, une belle facade en somme.

Ce dimanche matin, dans la vie de Kathleen et Virgil, un petit grain de sable vient se loger dans les rouages d'une journée ordinaire. Ils auraient dû se rendre à l'office. Au retour, Virgil serait allé jouer au golf avec ses amis et Kathleen serait restée à la maison pour s'occuper des enfants. Rituel immuable. Mais aujourd'hui, Kathleen se lève avec un sentiment de malaise. Autour d'elle, tout le monde s'agite et se prépare. Elle reste languide et décide de ne pas se plier aux habitudes. Comme le Bartleby de Melville, elle résiste par l'inaction. Elle va plutôt aller se baigner dans la piscine de la copropriété. Au retour de l'église, Kathleen n'est pas sortie de l'eau, ne s'occupe pas de son mari ni de ses enfants : elle préfère faire trempette. Cette rupture de l'ordre des choses est incompréhensible. Comme dans une nouvelle de Cheever, le tableau est idéal. Pourtant, on ressent une gêne, une ombre qui plane quelque part dans un coin. Dans cette communauté ‒ nous sommes aux États-Unis dans les années 1950 ‒, tout ce qui vient fissurer l'image de la perfection est une tare. On ostracise quiconque ne « joue pas le jeu ». En une succession de retours en arrière, va s'égrener la vie de ce couple modèle. Kathleen, qui a renoncé à une carrière de sportive par peur des dangers qui l’aurait accompagnée, se marie avec Virgil « parce qu'il était facile à vivre ». Dès lors, ils se sont laissé porter par un boulot bien payé pour lui ‒ qu'il mérite puisqu'il est blanc, beau et éduqué. Ont consenti à une vie de maison témoin en fait. La façade est grossière mais elle fait semblant d'y croire. Car elle sait qu'il boit trop et se doute qu'il la trompe. Et puis, comme un nuage qui enfle progressivement, les mensonges, les non-dits, les tromperies vont finir par envahir tout l’espace. Avec une maîtrise parfaite de la tension, Jessica Anthony met en scène la perversité et la duperie de l'adhésion au rêve américain.

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