Littérature étrangère

Agustina Bazterrica

Les Indignes

RD

✒ Raphaël Donnay

(Librairie De l'encre à l'écran, Le Guilvinec)

Avec cette dystopie, Agustina Bazterrica, l’autrice argentine qui nous avait offert Cadavre exquis en 2019, nous confronte à la pensée malrucienne : « Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ».

Sévices corporels, humiliations, compétitions sont le quotidien de jeunes femmes rescapées du désastre, celui qui marqua la fin de notre civilisation. Toutes perdues, ayant traversé des déserts, des décombres, des contrées hostiles et inhospitalières, elles arrivent presque mourantes lorsqu’elles parviennent à franchir le mur d’enceinte protégeant la Maison de la Sororité Sacrée. Elles ne sont pas sauvées pour autant. Triées, celles contaminées se chargeront des tâches subalternes, les autres suivront leur noviciat, soumises à la férule de la Sœur Supérieure. Elles sont les « indignes », celles qui espèrent être touchées par la grâce, celles qui attendent « Son bon vouloir », celles enfin qui tendent à atteindre le rang d’« Illuminées ». Indigne, la narratrice est l’une d’entre elles. Mais son esprit, rétif à toute autorité, se débat, lutte pour conserver son indépendance, son autonomie, son libre-arbitre. Aussi transgresse-t-elle les interdits. Tenant à garder des traces de ce qu’elle vit, elle se procure du papier, cueille des baies sauvages pour en faire de l’encre et, si elle en manque, se sert de son sang. Ce faisant, des souvenirs lui reviennent : sa mère aimante qui prit soin de lui transmettre la passion des mots mais aussi un monde croupissant où les adultes sont synonymes de danger, d’ennemi, de mort. L’arrivée inattendue d’une errante vient perturber ce microcosme, l’ordre établi de cette secte née d’un nouvel obscurantisme. Peut-être représente-t-elle le salut, la délivrance. Nimbée d’une atmosphère oppressante, spectrale, crépusculaire, au sadomasochisme latent, cette pseudo société matriarcale interroge notre capacité à obéir aveuglément à une croyance, à un dogme, à une foi, pourvu que le gîte et le couvert soient assurés et que l’on nous évite de réfléchir.

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