Littérature française

Olivier Truc

Le Cartographe des Indes boréales

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photo libraire

Chronique de Pauline Girardin

Librairie Mots & Cie (Carcassonne)

Que demande-t-on à la littérature romanesque ? De nous instruire, de nous faire voyager, rêver, vibrer et parfois, aussi, réfléchir. Vaste projet aux multiples ramifications que Le Cartographe des Indes boréales, nouveau roman qu’Olivier Truc exécute à la lettre et dans le détail.

Tout d’abord, voyager et s’instruire. De 1628 à 1693, ce roman historique emboîte le pas à Isko Detcheverry, un jeune Basque qui rêve de chasse à la baleine dans le grand Nord. À cause d’un chantage, il devient espion de la couronne française en Suède, sous couvert de cartographie. On y apprend que les guerres de religion qui ont ensanglanté le continent au siècle précédent ont eu des résurgences pas moins violentes en Europe scandinave. On découvre l’influence des marchands hollandais. Et la brutalité de la colonisation de la Laponie n’a rien à envier à celle qui s’était exercée lors de la conquête du Nouveau Monde. Avec Isko, on excelle au lancer de harpon et on s’immerge dans la pratique de la cartographie ; on s’initie aux coutumes basques, suédoises, lapones et hollandaises ; on tombe amoureux bien sûr, et on s’efforce de devenir un homme, sans y laisser son humanité. Qu’Isko ou la jeune reine Kristina qu’il faisait rire aient vraiment existé n’est pas le cœur du propos. Ce qui importe, c’est l’aventure humaine qui se déploie par eux, finement narrée dans ses passions, ses désirs, ses ambitions, ses lâchetés, ses loyautés, ses trahisons, ses contraintes, ses contradictions et ses libertés. Puis réfléchir. Ce XVIIe siècle que nous décrit Olivier Truc ressemble de façon troublante à notre XXIe siècle par bien des aspects. On y retrouve le poids des affaires dans la marche du monde et les compromissions qu’elles exigent ; les querelles religieuses qui virent au fanatisme et leur instrumentalisation. Cependant, à travers l’art du cartographe minutieusement, passionnément décrit, se dessine la singularité propre à ce siècle agité, qui, sans nul doute, accouchera du nôtre. Le xviie siècle fut celui où l’être humain écarta l’aune du divin et commença à se prendre lui-même comme étalon de la mesure du monde. On y voit un effort herculéen pour unir et renforcer les royaumes européens qui se muent en États, notamment par une doxa à laquelle tout écart est fatal. La connaissance et son acquisition mutent à leur tour. Isko incarne à la perfection cette bascule idéologique : il prend sa propre enjambée comme base de calcul des distances à reporter sur ses cartes, mémorise les reliefs qu’il rencontre par leur association avec ses montagnes natales et s’efforce de laisser sa curiosité prendre le pas sur ses peurs. Au fond, Isko est le cartographe de notre humanité vivace, il est chacun de nous qui arpentons le monde pour le connaître, l’aimer et le protéger dans sa pluralité et sa vitalité.