Une tombe pour deux

Jacob Hampton est issu d'une famille aisée de Caroline du Nord. En ce début des années 1950, c'est la guerre de Corée qui occupe les velléités bellicistes de l'Amérique et, tout comme des centaines de milliers de ses contemporains, il est contraint et forcé de s'engager et d'aller se battre. Au drame de l’enrôlement s'ajoute le fait que Jacob va être père : sa compagne Naomi, fille d'un modeste paysan, attend un heureux événement. Mais ce n'est pas Jacob qui va accompagner les derniers moments de sa grossesse. C'est Blackburn, jeune croque-mort handicapé et défiguré par la polio, qui aidera Naomi et s'assurera que tout se passe au mieux pour elle. Un pacte de sang unit les deux hommes et Jacob ne peut encore imaginer que sa propre famille, ne pouvant supporter le déclassement supposé de son union avec Naomi, va délibérément manipuler la réalité pour la faire correspondre à son idéal : protéger les intérêts de la famille et ce quel qu’en soit le prix. Ron Rash nous revient avec un roman shakespearien, avec le thème de l'amour impossible décidé par une famille opposée à tout compromis. Sur fond de lutte des classes, le titre publié dans la collection « Noire » de Gallimard nous propose surtout un personnage lumineux : l'ami fidèle Blackburn qui, pourtant fortement marqué par le destin, va venir apporter sa pierre à l'édifice et jouer son rôle d'ami fidèle. Car ce roman est avant tout une histoire d'amitié : celle qui s'avère plus forte que les liens du sang, qui vient réconforter, soutenir, épauler lorsque le pire est arrivé. C'est aussi l'histoire de cet homme, frappé par la maladie et devant faire face aux regards des autres, qui s'est volontairement attelé à une tâche que peu de personnes souhaitent réaliser (croque-mort/gardien de cimetière) et qui accepte son sort, faisant preuve d'une grandeur d'âme peu commune envers son ami. Enfin, Une tombe pour deux c'est aussi et surtout une écriture ciselée de l'auteur américain pour décrire la ruralité des années 1950, la brutalité et l'horreur d'une scène de combat à mort, la perversité d'un parent prêt à tout. Après avoir exploré le mal dont l'être humain est capable envers la nature, dans l'optique du profit et du pouvoir, comme dans son roman Serena, Ron Rash vient enfoncer le clou dans le cercueil de cette tombe pour deux : l'être humain est définitivement inarrêtable lorsqu'il est question d'intérêt. Ici, l'amour lui-même ne pèse pas lourd devant le jusqu’au-boutisme du prétendu honneur familial.