Bande dessinée
Alex W. Inker
Servir le peuple
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Alex W. Inker
Servir le peuple
Sarbacane
03/10/2018
216 pages, 28 €
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Chronique de
Guillaume Boutreux
Librairie M'Lire (Laval) - ❤ Lu et conseillé par 21 libraire(s)
✒ Guillaume Boutreux
(Librairie M'Lire, Laval)
Basé sur le roman de Yan Lianke, censuré à sa sortie en 2005, Servir le peuple est un pastiche magistral d’Alex W. Inker qui a su puiser dans l’imagerie maoïste la matière d’une bande dessinée ironique et esthétique.
Petit Wu est un soldat modèle de l’Armée populaire de libération. Après avoir juré à sa femme qu’il lui prodiguerait une vie meilleure, celui-ci ne va pas lésiner sur les sacrifices pour pouvoir honorer sa promesse. Tant d’abnégation envers les préceptes du Grand Timonier vont finir par permettre à Petit Wu d’accéder à une promotion. Celui-ci parvient alors à accéder au poste d’ordonnance auprès d’un colonel mais doit pour se faire quitter sa femme pour une longue période. Le colonel devant également s’absenter pour une durée indéterminée, Petit Wu se voit chargé de satisfaire aux besoins de la jolie femme du haut gradé. Il s’avère rapidement que les besoins de la jeune femme ne se cantonnent pas aux petits plats que lui prépare le jeune soldat ; ce qui mène bientôt les jeunes gens dans les rets d’une passion aussi fulgurante que contre-révolutionnaire. Servir le peuple est la troisième bande dessinée d’Alexandre Widendaele alias Alex W. Inker aux éditions Sarbacane. Son premier album, Apache, paru en 2016, connaît aussitôt un certain succès critique. Déjà, Alex W. Inker s’empare avec finesse de personnages bringuebalés par la grande Histoire. Huis clos sulfureux situé dans un bistrot des bas-fonds parisiens de l’entre-deux-guerres, cette bande dessinée nous plonge dans une atmosphère de film noir avec ces coups fourrés de voyous en compagnie de personnages peu recommandables. Une belle bichromie rouge et noir illustre à merveille la moiteur étouffante qui entoure la vie de ceux qui vivent au jour le jour dans un Paris à peine remis de la Première Guerre mondiale. Dans son deuxième album, Panama Al Brown, Alex W. Inker rend hommage à un personnage également à fleur de peau. Réalisé en collaboration avec Jacques Goldstein au scénario, Panama Al Brown nous relate en noir et blanc la vie kaléidoscopique d’un boxer panaméen, champion du monde dans les années 1930. De son vrai nom Alfonso Brown, celui-ci préféra bien vite les nuits blanches et la fréquentation des artistes dans un Montmartre interlope où il rencontra Jean Cocteau dont il devint l’amant. Noir et homosexuel, il dut subir de plein fouet la haine de ses contemporains, ne tenant que grâce à l’alcool et aux drogues. Quoique encore récente, l’œuvre d’Alex W. Inker brille à la fois par son audace graphique, renouvelée à chaque album, et par sa grande cohérence. Avec Servir le peuple, Inker inscrit ces deux personnages à contre-courant de la Révolution dans la ligne de ces précédents ouvrages tout en conservant l’esprit subversif de Yan Lianke et en lui donnant une identité graphique tout à fait remarquable.