Faire bientôt éclater la terre (ou Deep River dans sa version originale) marque le grand retour de Karl Marlantes. Événement de cette rentrée littéraire américaine, ce livre monumental nous emporte auprès des pionniers partis se construire une vie dans le Nouveau Monde.

La Finlande au tournant de 1900. Les paysans et les prolétaires sont écrasés par l'ordre capitaliste bourgeois. Les damnés de la terre voient dans les idées neuves venues de Russie un espoir d'une vie meilleure et digne. La famille Koski est de ceux-là. Mais l'humanité est ainsi faite que la déception et la rancœur sont à la mesure des espoirs suscités et des idéaux trahis. Cependant, malgré la misère troquée contre une autre, les rêves ne meurent pas. Quitter le vieux pays ravagé par la guerre civile devient tout ce qui compte car un grand pays neuf les appelle au loin, à l'ouest. Ilmari, l'aîné, ouvrira la voie sur les rives boisées de la Deep River (État de Washington) et, à la manière d'un phare invisible, guidera vers l'exil Matti, Aino et Aksel. L'exploitation forestière sera le lot de ces rudes jeunes gens durs à la tâche au cœur d'une nature unique et grandiose : la forêt primaire de douglas et de séquoias géants de la côte ouest américaine. Matti et Aksel s'échineront pour quelques dollars avec d'autres Finlandais venus ici faire communauté de langue et de labeur. Si les peines sont grandes, les plaintes sont tues par ces Scandinaves protestants dont l'éthique s’accommode cependant fort bien de la religion du billet vert. Les hommes et les femmes sont vaillants mais la lutte est ancienne et le cycle de l’injustice sans cesse renouvelé. Aino, jeune femme éduquée aux idées de la révolution marxiste, portera à ses risques et périls la lutte pour l'amélioration du sort des siens et laisse à comprendre l'histoire sociale tourmentée des États-Unis. Le tour de force de Marlantes réside dans sa capacité à mêler le tragique des destinées individuelles de ses personnages à la trajectoire historique, économique et écologique du monde. Ce roman impressionnant se lit comme une allégorie de la marche inéluctable vers l'inconnu et de l'irruption du possible, soit l'illustration brute de l'esprit pionnier au cœur du mythe américain.