Littérature étrangère

Zeruya Shalev

Douleur

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photo libraire

Chronique de Linda Lompech

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Douleur, le nouveau roman de l’écrivaine israélienne Zeruya Shalev, continue d’explorer les liens subtils et complexes entre hommes et femmes. Avec une plume délicate et sensuelle, elle fait de nouveau exploser la cellule familiale en insinuant au sein de son récit la force du passé et la part incontrôlable du destin.

Au départ, il y a ce mal. Une douleur vive, qui se réveille brutalement, dix ans après. Dix ans que ce bus a explosé un matin en pleine rue, au cœur de Jérusalem. Un attentat suicide. Dix ans qu’Iris a croisé la route de ce bus, qu’elle était là au mauvais moment. Dix ans qu’elle s’est retrouvée projetée dans un mal qui l’a clouée au sol, qu’elle a surmonté peu à peu, au cours de longs mois de convalescence. Dix ans surtout qu’elle n’avait pas ressenti ce mal profond. Iris voit de nouveau son quotidien paralysé par cette douleur. Un quotidien qu’elle a dompté, qu’elle a reconstruit. Aujourd’hui, ses enfants sont grands. Alma vient de quitter la maison et de s’installer à Tel-Aviv. Omer termine une scolarité paisible. Son couple avec Micky vivote, mais Iris trouve son épanouissement dans son travail. Elle est directrice d’un établissement scolaire. La douleur d’Iris va prendre plusieurs visages : celui de son premier amour, Ethan, cet homme qui l’a quittée sèchement quand elle avait dix-sept ans. Cet homme qui l’a faite souffrir. Cet homme devenu médecin spécialiste de la douleur, que ce mal profond va de nouveau jeter sur son chemin. Ethan avec qui elle se sent de nouveau belle, sensuelle. Cet homme pour qui elle pourrait tout quitter, aujourd’hui. La douleur d’Iris est aussi celle de l’éloignement qu’elle vit avec son époux. Un couple qui n’en est plus un depuis longtemps, qui n’attend rien. Ces deux êtres vivent en parallèle, si seuls. Et puis Douleur pourrait être le deuxième prénom d’Alma, la fille aînée d’Iris et Micky, qui va basculer en quelques semaines d’une existence timide à une vie sous la coupe d’un homme à l’influence néfaste. Zeruya Shalev aime tordre les liens familiaux comme une corde qui menacerait de craquer, dont les fibres lâcheraient une par une, inexorablement. Après le magnifique roman Ce qui reste de nos vies (Folio), prix Femina étranger en 2014, Douleur, publié également chez Gallimard, est une sorte de miroir où l’on semble voir le reflet de l’auteure. Mais ce serait réduire le roman qui développe non seulement les thèmes de la reconstruction, de la fragilité des êtres, de la cellule familiale mais aussi celui de la force du destin, qui prend un visage singulier dans une ville comme Jérusalem. Zeruya Shalev parvient à personnifier cette douleur insidieuse, multiple et nous conduit sur des chemins dont on ne soupçonnait pas l’existence, toujours au sein de la cellule familiale, des liens de chair, des liens de sang. Alors on souffre avec son héroïne Iris, on ressent ce mal physique et ce malaise psychologique qui font basculer sa vie. Mais on vit aussi avec elle, intensément, on aime farouchement, à corps perdu, jusqu’à l’épuisement. L’écrivaine israélienne puise avec force dans le champ lexical du traumatisme pour plonger son personnage dans un monde où les choix vont être source de questionnements douloureux. Elle offre également au lecteur une écriture sensuelle, délicate, presque charnelle et particulièrement élégante.