Bande dessinée

Xavier Coste

1984

illustration

Chronique de Stéphane Quero

Librairie La Librairie Le BHV Marais (Paris cedex 4)

Autorisation de sortie

Je soussigné camarade Winston Smith atteste sur l’honneur bénéficier d’une autorisation de sortie.

Valable ce jour, le 6/04/1984

Signature : Smith

Après ces mots, peut-on encore douter du bien-fondé de l’adaptation de cette œuvre qui résonne avec l’actualité ?

Dans un Londres en dictature où chaque individu est soumis à un contrôle permanent, Winston Smith est employé au ministère de la Vérité. Il effectue chaque jour et sans entrain la tâche qui lui est assignée : modifier le contenu des articles pour correspondre aux besoins historiques du moment. Comme seul exutoire, il n’a que la « minute de la haine » accordée par le pouvoir et symbolisée par l'infâme Goldstein, ennemi du parti. Sa rencontre avec l'énigmatique Julia va bouleverser son quotidien déshumanisé. Dès lors, ils entameront une relation amoureuse, clandestine et intense. Mais Big Brother veille. La disparition d'Orwell, il y a soixante-et-onze ans, permet l’adaptation de son œuvre maîtresse, tombée dans le domaine public. C’est ainsi que quatre versions dessinées sont proposées en ce début 2021, mais celle-ci se détache par son parti pris graphique. Profondément marqué à 15 ans par la lecture de ce classique de la littérature du XXe siècle, Xavier Coste rêvait d’adapter cette œuvre. Dès la page de garde et son « Autorisation de Sortie », l’auteur livre une version anxiogène du roman d’Orwell. La dictature dépeinte dans cette uchronie représentait pour le romancier une vision du communisme stalinien, mais le dessinateur a choisi une autre figure pour incarner Big Brother ressemblant ici étrangement à Lénine. Ce visage omniprésent au fil des pages renforce la sensation d’oppression. Son Londres, au style brutaliste et aux accents Bauhaus que Le Corbusier ne pourrait renier, est une ville étouffante sous contrôle aérien, où pleuvent sans cesse des bombes. Il retranscrit l’atmosphère de la ville avec une palette de couleurs principalement en nuances de gris. Les quelques aplats de couleur primaire servent à marquer principalement les transitions du récit. Et même les scènes les plus sensuelles, lors du rapprochement de nos deux héros, restent dans cette tonalité grisâtre légèrement relevée d’une pointe de rouge. Son adaptation est oppressante et, en ne donnant quasiment aucun visage aux différents protagonistes, il renforce la déshumanisation du récit. L’architecture est particulièrement mise en valeur. Les bâtiments sont imposants, les différents ministères gigantesques. Le travail remarquable et élaboré des perspectives donne ainsi corps à la ville et à cette sensation d'écrasement. L’album se referme sur un superbe pop-up où les dessins de Xavier Coste sont sublimés par les créations de Nicolas Codron. Et surtout, en refermant cette BD, n’oubliez Jamais : « Big Brother is watching you ».