Bande dessinée

Morvan , Frédérique Voulyzé , Marion Mousse

L’Écume des jours

illustration
photo libraire

Chronique de Enrica Foures

Librairie Lafolye & La Sadel (Vannes)

Quel roman pouvait mieux se prêter à une 
adaptation en bande dessinée que L’Écume des jours, le chef-d’œuvre de Boris Vian ? 
Extrêmement fantaisiste et visuel, il permet 
à Marion Mousse et Jean-David Morvan 
de donner libre cours à leur imagination, tout 
en restant très fidèles au texte original. 


Publié en 1947, L’Écume des jours est, selon les termes de Raymond Queneau, « le plus poignant des romans d’amour contemporains ». Résolument moderne, dans le fond comme dans la forme, le livre raconte l’histoire de deux jeunes hommes, Colin et Chick, qui rencontrent tous les deux l’amour. Chick s’amourache d’Alise, et Colin, travaillé par son célibat, fait, peu de temps après, la connaissance de Chloé lors d’une soirée. Les coups de foudre sont réciproques et les deux tourtereaux se marient rapidement. Mais le bonheur est de courte durée. Chick, rongé par sa passion pour Jean-Sol Partre, se ruine malgré le prêt généreux de son ami et, incapable de s’occuper d’Alise, financièrement et affectivement, finit par la délaisser. Chloé, elle, tombe malade lors de son voyage de noces. Son opération des poumons et les efforts désespérés de Colin pour la guérir ne permettront pas de la sauver…


S’emparant régulièrement des classiques de la littérature, Marion Mousse était déjà connu pour son Frankenstein adapté du roman de Mary Shelley (Delcourt) et pour Moonfleet d’après Falkner (Treize Étrange). Il a également adapté librement Fracasse de Théophile Gautier, paru en trois volumes chez Treize Étrange. Le revoilà avec L’Écume des jours en compagnie de Jean-David Morvan pour une version fidèle au roman tout en lui donnant un second souffle. Le graphisme, en parfaite adéquation avec le propos, met en image intelligemment les idées de Vian. Ainsi, lorsque Colin est transporté par le parfum d’Alise, on peut voir ce dernier installé dans ses cheveux, humant son odeur avec délectation… De même, le pianocktail se concrétise, ainsi que toutes les inventions délirantes de Colin. Les auteurs reproduisent un univers que n’aurait pas renié Tex Avery et qui prend au fil des pages toute sa (dé)mesure. Les appartements et les cabines téléphoniques rétrécissent sous la menace du drame, au rythme de l’expansion du nénuphar dans la poitrine de Chloé, Colin fait pousser des fleurs en acier, les chats et les souris parlent… Mais, plus qu’une simple illustration, le dessin de Marion Mousse est inventif, repousse les codes de la bande dessinée et abolit les frontières entre celle-ci et la littérature. À la poésie de Boris Vian se conjugue la sienne, magnifiée par un noir et blanc qui accentue le désespoir du récit. Comme le texte, son dessin respecte un savant équilibre entre la noirceur et l’humour, notamment dans sa manière de croquer les personnages secondaires (le médecin, le pharmacien, le patron de Colin ou encore les « petites filles aveugles de l’orphelinat de l’Apostolique » qui actionnent le clap de fin). Une belle manière de (re)découvrir un chef-d’œuvre intemporel.

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