Littérature française

Abdellah Taïa

Infidèles

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photo libraire

Chronique de Mélanie Le Loupp

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Infidèles est un roman fort sur la relation entre une mère marocaine et son fils, à l’aune de laquelle sont réinterprétés certains codes religieux. Un projet audacieux, alors que le monde arabe est en plein bouleversement.

Infidèles est construit comme une longue et douloureuse litanie. À la manière d’une complainte, Jallal et sa mère Slima racontent leur vie, leur bonheur de s’aimer, leurs craintes au sein d’une société rude et peu encline à accepter les parias… Avec, en musique de fond, le thème de River of no return, film d’Otto Premminger réalisé en 1954 dont Marilyn Monroe est l’actrice principale, leur quotidien se nourrit de peu. Mère et fils vouent un culte à l’actrice : ils ne cessent de se passer le film et d’en chanter le refrain. Le lecteur découvre ainsi le quotidien de ces deux êtres pauvres. L’amour fusionnel qui les unit les aide à vivre et être heureux, malgré tout. C’est ainsi que Jallal trouve des hommes à sa mère qui se prostitue pour leur permettre à tous deux de manger et de dormir à l’abri. Leur bonheur se nourrit de simplicité, jusqu’au jour où elle est arrêtée par la police et torturée. Slima ne se remet jamais complètement de ce cauchemar, même lorsqu’elle retrouve son fils trois ans plus tard en Égypte. C’est à la suite de leur rencontre avec un Belge, que la mère et le fils trouvent du réconfort dans l’islam. La religion a alors raison de leurs deux âmes indigentes. Au cours de ce récit touchant et audacieux, Abdellah Taïa tente de mettre à nu les rouages pervers d’une société brutale envers les faibles, dès lors proies rêvées pour les manipulateurs de tous poils. L’auteur témoigne de la grandeur de la religion, mais aussi de son danger lorsqu’elle est utilisée comme une arme. Au moment même où gronde une colère qui se transforme parfois en violence dans l’ensemble du monde arabe, Abdellah Taïa livre son analyse du contexte marocain, mais à aucun moment il ne s’érige en redresseur de torts, ce qui donne à son texte l’aspect d’une ode à l’espoir et d’une invite à la réflexion. Infidèles est donc un roman émouvant, duquel le lecteur, comme les personnages principaux, ne peut sortir qu’interpellé… et troublé par la voix sensuelle de Marilyn qui, au fond, s’inscrit comme le seul Dieu de ces âmes en peine. « I can hear my lover call come to me, no return, no return. I lost my love on the river and for ever my heart will yearn… »