Bande dessinée

Maël , Olivier Morel

Revenants

illustration
photo libraire

Chronique de Damien Rodriguez

Librairie Georges (Talence)

Ils sont revenus d’Irak, mais une part d’eux-mêmes est restée là-bas… Autour des expériences de vétérans brisés par ce qu’ils ont vu et vécu, Maël et Olivier Morel construisent ce magistral documentaire graphique. Une œuvre bouleversante qui mène une passionnante réflexion sur la guerre et sa sidérale perversité.

Ils sont six. Tous vétérans d’une guerre dans laquelle ils se sont engagés parce qu’ils étaient guidés par un sentiment de justice… qui vola rapidement en éclats. Tous ont survécu, mais chacun d’entre eux a payé un lourd tribut : « leurs sourires sont voilés, hommes et femmes brisés, revenus de cette guerre l’âme en sang ». Blessés, traumatisés, poussés au massacre ou complices de tortures, c’est à ces Revenants du sol irakien qu’Olivier Morel a consacré un documentaire unanimement salué lors de sa diffusion en France en 2011. Mais il restait des choses à dévoiler, des instants perdus entre les séquences filmées, des confessions livrées caméra éteinte, des liens et des impressions que l’écran ne peut pas toujours retranscrire. En s’associant au dessinateur Maël, le talentueux réalisateur donne une nouvelle fois la parole à ceux qui en ont été dépossédés, témoignant du même coup de l’implication émotionnelle ayant résulté de ses rencontres. À l’heure où les interventions militaires sont réduites à des logiques géopolitiques qui perdent en lisibilité et où les traitements médiatiques manichéens échouent à retranscrire l’ampleur des tragédies, Revenants plonge au contraire dans les aspects souterrains du conflit irakien et replace l’homme au cœur de la réflexion sur la violence. Réduits au silence par un système qui considère leurs traumatismes comme une menace sous-jacente et pernicieuse, une sorte de sacrilège infligé à un patriotisme américain transformé en religion d’État, ces vétérans livrés à eux-mêmes, démunis face à l’ampleur de leur détresse et de leur solitude sont ici remis au premier plan. Qu’ils soient acteurs ou spectateurs de l’horreur, certains sont en révolte, d’autres simplement brisés, mais tous portent en eux une blessure incicatrisable qui les ronge et les entraîne inexorablement vers des états psychologiques – souvent psychiatriques – très graves. L’ambivalence du titre résume malheureusement trop bien leur situation. Ils sont certes revenus sains et saufs d’Irak, mais errent désormais au sein de leur patrie comme des spectres, tandis que le monde, dont ils incarnent la mauvaise conscience, reste sourd à leur détresse. Ils sont des fantômes hantés par d’autres fantômes, comme en témoignent les sinistres paroles de Lisa : « Parfois j’entends des cris. Je me réveille et je les entends encore… Ces spectres n’en finiront jamais de me hanter. Leur révolte est entrée en moi ». Au fil des trois chapitres qui composent Revenants, les personnages glissent du mutisme destructeur à une parole libératrice. Des fragments, des balbutiements qui se rassemblent peu à peu pour former une histoire personnelle. Pour Lisa, Jason, Ryan, Vincent, Wendy et Kevin, il s’agit autant de faire éclater une vérité maquillée que de mettre à jour leur propre culpabilité afin de tenter, sinon de s’en libérer, au moins de ne plus abandonner le contrôle de leur existence à la terreur. L’urgence est à la hauteur de l’enjeu : le paratexte qui accompagne le livre dévoile des chiffres ahurissants : chaque jour, vingt-deux vétérans se suicident aux États-Unis !