Bande dessinée
Alfonso Zapico
James Joyce
-
Alfonso Zapico
James Joyce
Traduit de l’espagnol par Charlotte Le Guen
Futuropolis
07/05/2013
248 pages, 27 €
-
Chronique de
Damien Rodriguez
Librairie du Contretemps (Bègles) -
❤ Lu et conseillé par
7 libraire(s)
- Claire Rémy
- Damien Rodriguez de du Contretemps (Bègles)
- Julien Daylies de Fontaine Lubéron (Apt)
- Georges-Marc Habib de L'Atelier (Paris)
- Nathalie Iris de Mots en marge (La Garenne-Colombes)
- Charlène Busalli
- Evelyne Levallois
✒ Damien Rodriguez
(Librairie du Contretemps, Bègles)
En retraçant la vie de l’immense écrivain irlandais James Joyce, le dessinateur espagnol Alfonso Zapico remporte pleinement son pari en réalisant une biographie lumineuse et captivante. Une subtile alchimie graphique et narrative au service de l’histoire littéraire.
Si James Joyce est effectivement né à Dublin, il n’y séjourna finalement qu’une courte partie de son existence. À l’instar du héros de l’Odyssée dont il baptisa son plus célèbre roman, la vie de l’auteur irlandais fut rythmée par les voyages : Trieste, Zurich, Rome, Paris… Joyce oscillait entre les pays au fil d’une errance souvent chaotique, balisée par les mutations politiques d’une Europe belliqueuse en pleine effervescence. Pour autant, la capitale irlandaise constitue irréfutablement le cœur de son œuvre littéraire : un cadre narratif, un savoureux vivier de personnages, mais surtout une âme qu’il érige en forme d’enjeu. « J’écris toujours sur Dublin, car si je parviens à aller droit au cœur de Dublin, j’irai droit au cœur de toutes les personnes du monde. L’universel est dans le particulier. » Si Zapico s’attache évidemment à pénétrer la figure de l’écrivain, son récit se focalise judicieusement sur l’homme. Comme de nombreux génies, Joyce est dépeint avec ses parts d’ombre et de lumière. Attachant par son côté fantaisiste, sa jovialité et son sens de la répartie, il passa néanmoins la plus grande partie de sa vie dans la précarité à cause d’un rapport à l’argent pour le moins désastreux. Préférant dilapider ses maigres revenus auprès des prostituées ou dans d’innombrables beuveries, il finira sa vie atteint de troubles oculaires particulièrement sévères. Intransigeant et souvent colérique, il peina longuement avant de parvenir à faire publier ses œuvres, grâce notamment au soutien de figures littéraires majeures telles qu’Ezra Pound, Hemingway ou Wells. Pour autant, cette reconnaissance ne fit jamais vaciller sa personnalité. Si l’homme considérait son propre talent comme une certitude et son travail d’écriture comme une quête de perfection, il portait cependant sur son œuvre un regard malicieux, se délectant à formuler des commentaires teintés d’autodérision qui ne manquaient jamais de surprendre ses interlocuteurs : « Ça m’inquiète de penser que peut-être les lecteurs chercheront une morale dans Ulysse ou, ce qui est pire, qu’ils le prendront au sérieux. Et je jure qu’il n’y a pas une seule ligne écrite au sérieux dans tout ce livre ! » Lorsqu’un de ses proches lui demande pourquoi son Finnegans Wake est composé dans une forme si curieuse, Joyce lui rétorque avec humour : « Pour que les critiques aient de quoi s’occuper pendant 300 ans… » À cet égard, le trait fluide et pétillant de Zapico retranscrit à merveille la subtile complexité de son sujet, un génie littéraire tour à tour fascinant et exaspérant pour son entourage, qui illumina les années les plus sombres de l’Europe de sa désinvolture et de sa prose magistrale. Le jeune et talentueux dessinateur espagnol livre une œuvre particulièrement maîtrisée, très rythmée et remarquablement documentée, pleine de finesse et de maturité, qui pose un regard à la fois fidèle et intériorisé sur celui que l’histoire littéraire retiendra sans doute comme l’un des auteurs les plus importants de son siècle.