Littérature étrangère

Lucia Berlin

Manuel à l’usage des femmes de ménage

FR

✒ Florence Reyre

(Librairie Du côté de chez Gibert, Paris)

La quatrième de couverture annonce « Lucia Berlin est sans doute le meilleur écrivain dont vous n’avez jamais entendu parler ». Voilà certainement une manière un peu prétentieuse de présenter un écrivain inconnu… et pourtant c’est vrai.

J’ai adoré ce recueil de nouvelles. Publié dix ans après la mort de l’auteure, c’est une découverte. Le style est unique, reconnaissable dès les premières lignes. À mesure qu’on progresse dans le livre, Lucia Berlin se dévoile. Elle n’est pas l’unique sujet de ses récits, loin de là. Il y a de nombreux portraits d’hommes et de femmes. Ce qui frappe, c’est la vie contenue dans ces histoires, le désir d’insouciance et de légèreté des personnages, le très grand respect mis à les peindre. Au début, on imagine une femme un peu fruste, alcoolique, tirant le diable par la queue et élevant tant bien que mal ses quatre fils. Peu à peu, le portrait se fait plus nuancé, l’enfance est cabossée, la mère névrosée, mais il y a aussi un milieu privilégié, une adolescence au Chili, une sœur tendrement aimée, le Mexique, des amoureux multiples, des fils responsables et des policiers pas toujours compréhensifs. Le double fictif de Lucia Berlin fait mille métiers, professeur, secrétaire médicale ou femme de ménage, tout est bon pour faire vivre sa famille. Ce qui est remarquable, c’est le ton, cet humour en demi-teinte, la vérité psychologique des personnages qui les rend réels. Les défauts sont soulignés. L’alcool, qui revient dans presque toutes les nouvelles, n’est jamais idéalisé. Un vrai plaidoyer contre l’alcoolisme. Il faut lire « Ingérable », description d’une femme à la recherche de sa ration d’alcool tôt le matin avant que ses enfants ne se lèvent. Le récit est glaçant et si bien écrit qu’on ne peut s’en détacher. On est sans cesse pris à contre-pied. Ce qui commence tragiquement se termine dans un éclat de rire, parfois grinçant, souvent par une pirouette. On referme le volume en souhaitant la traduction d’autres nouvelles de Lucia Berlin.

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