Polar

Jean-Bernard Pouy

Ma ZAD

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photo libraire

Chronique de Nadège Rousseau

Librairie Passages (Lyon)

C’est sur des charbons ardents que l’on attendait un nouveau roman signé Jean-Bernard Pouy. Ce mois-ci, il revient avec Ma ZAD, un polar jubilatoire et libertaire. Qui nous entraîne au cœur d’une résistance sociale, écologique et politique. Un régal de verve et d’irrévérence !

Dans le Nord, il y a les Valter, une famille d’entrepreneurs tout-puissants. Et ils ont décidé de construire une plate-forme multimodale de 30 km² à Zavenghem. En face, il y a Camille Destroit, un quadragénaire un rien placide, qui vit à 5 km du futur chantier. De déboires en désillusions, il va s’engager auprès des zadistes qui se battent pour préserver paysage et environnement. Il a été arrêté par les flics, il a perdu son travail à l’Ecobioplus, son hangar a été incendié et sa belle est partie dans le Sud. Que faire ? Qu’a-t-il à perdre ? Au début, la ZAD, c’était surtout histoire de tromper l’ennui ; Camille n’était qu’un « zadiste périphérique », ravitaillant les copains en légumes et palettes en bois. Maintenant, il va s’investir corps et âme dans la lutte. Pris dans le tourbillon de la révolte, il se lance dans une vengeance personnelle et politique : se venger des Valter, se venger de « ce capitalisme aveugle et dégénéré qui nous spolie ». C’est donc le récit d’une radicalisation que nous livre Pouy. L’histoire d’un homme dont le problème est « d’accepter ou non de [s]’être fait aplatir, rabioter, tondre ». Mais c’est une radicalisation « à la Pouy », faite avec humour, avec allégresse, avec envie. L’envie de se dire que l’on peut peut-être faire quelque chose contre les puissants. Et même si les nervis encagoulés des mouvements d’extrême droite cassent la gueule de Camille, il ne la fermera pas pour autant. Tant mieux ! Avec Ma ZAD, Jean-Bernard Pouy nous offre à nouveau un roman burlesque, fougueux, où les inventions de langage (« rézosocios », « burnoutte ») sont autant de piques enjouées – dévoilant une véritable résistance orthographique à la novlangue des décideurs économiques. Et lorsqu’il essaime des références artistiques tout au long du récit, l’auteur en profite pour nous prouver que le seul art valable est politique. Que la politique est l’affaire de tous. Pouy est un humaniste, anar sur les bords (et un peu au milieu), qui ne se prend pas au sérieux mais qui nous raconte tout le sérieux du monde et des rapports humains. Même si c’est en racontant l’inanité des caddies et des valises à roulettes. Car avec son ton enlevé, énervé, impertinent, il nous parle sans ambages de l’actualité, de la société et de ses dérives. Avec lui, c’est la voix des petits qui se fait entendre et qui hurle son ras-le-bol, son indignation. Dans les pas de Camille Destroit, nous vivons l’insurrection de l’intérieur, nous aimons, nous souffrons, nous rions. Le tout emballé dans une intrigue ficelée au cordeau, qui nous balade des Hauts-de-France à la Lituanie, en passant par la Bretagne. Voilà pourquoi ce grand petit roman d’à peine 200 pages, cette piqûre de rappel, cet électrochoc joyeux est indispensable.