Bande dessinée

Frederik Peeters , Loo Hui Phang

L’Odeur des garçons affamés

illustration
photo libraire

Chronique de Edouard Chevais-Deighton

Librairie Charlemagne (Toulon)

Le titre est pour le moins énigmatique. D’autant plus que L’Odeur des garçons affamés est présenté comme un western… Un album quelquefois étrange, toujours passionnant qui confirme avant tout l’incroyable talent de ses deux auteurs.

C’est un étrange trio qui parcourt les reliefs torturés de cette sierra écrasée par la chaleur. Il y a d’abord Stingley, plus ou moins responsable de l’équipée chargée de recenser – tout du moins officiellement – le nombre d’Indiens vivant dans les environs, ainsi que leurs chevaux. Stingley est un homme d’action aux manières rudes, à la pudeur inexistante et aux buts réels mystérieux, qui trouve le temps de s’extasier devant la beauté d’un paysage, avant de révéler qu’il y voit avant tout les richesses potentielles que recèle sa terre. Et puis Oscar, photographe d’origine irlandaise, dandy aux manières précieuses, qui apparaît quelque peu décalé dans ses habits élégants et ses chaussures vernies. Lui a pour mission d’immortaliser, sur plaques argentiques, les fameux Indiens. Il a fui la justice ou un passé aussi douloureux qu’inavouable – ou les deux… Oscar est un personnage à la sexualité très affirmée, qui semble éprouver une véritable fascination pour le troisième membre du groupe, Weather, éphèbe au caractère bien trempé chargé de l’intendance. Sa présence en ces lieux est peut-être la plus surprenante. Il va se révéler central dans une aventure oscillant subtilement entre réalisme cru et onirisme. Car Weather possède un pouvoir quasi surnaturel. Et il pourrait bien expliquer pourquoi un chaman indien surgit brusquement de temps à autre, comme jaillissant de nulle part, intervenant pour apporter son concours ou se contentant d’observer les uns et les autres, notamment un dernier larron, sorte de chasseur de primes au visage émacié, à la limite de la tête de mort et à l’élocution difficile, qui traque les trois hommes, à la poursuite d’Oscar ou de Weather. Si vous ajoutez à cela une tribu indienne dont les guerriers semblent pour le moins sur les dents après la découverte de cadavres de chevaux vidés de leur sang, vous avez tous les ingrédients qui composent un récit palpitant, concocté par Loo Hui Phang, scénariste aussi rare que génial, véritable touche-à-tout de la création passé par le théâtre, la littérature, le cinéma, ou encore la conception d’installations en collaboration avec de grands illustrateurs. Une pratique qui l’a amenée à confier la réalisation de son album à Frederik Peeters, qui, après des séries en tant qu’auteur, a trouvé dans cette histoire matière à démontrer toute l’étendue de son talent. Dans ce qui s’apparente parfois curieusement à un huis clos au milieu de l’immensité de la sierra, il joue avec le regard des personnages, rendant tout dialogue fortuit et restituant la complexité de leurs interactions. Il ne néglige cependant pas de nous restituer la beauté de cette terre rude et sauvage, qui, elle aussi, tient une place essentielle dans l’histoire. Cela ne nous explique pas pour autant la raison du titre… un mystère à la hauteur de cette intrigue.