Bande dessinée

Jean Dytar , Bollée

Les Illuminés

JM

✒ Julien Marsa

(Librairie L'Infinie Comédie, Bourg-la-Reine)

Après Voleur de feu de Damien Cuvillier (Futuropolis), première partie d’une biographie d’Arthur Rimbaud, le poète est à nouveau à l’affiche d’un roman graphique. Mais l’angle choisi pour Les Illuminés est tout autre puisqu’il se concentre sur le trio formé par Rimbaud, Verlaine et l’injustement méconnu Germain Nouveau.

Prendre la grande histoire de la poésie française par le biais de la petite, celle de trois hommes tourmentés et bouillonnants qui ont participé à en forger la légende : tel est le parti pris de ce très bel ouvrage réalisé par le dessinateur Jean Dytar et le journaliste Laurent-Frédéric Bollée. Un point de vue qui mêle faits établis et scènes imaginées, où les deux auteurs retracent l'histoire mouvementée du manuscrit des Illuminations d'Arthur Rimbaud, composé entre 1872 et 1875. Pour illustrer ce processus créatif long et morcelé, le choix d’une narration toute en ellipses s’avère très judicieux puisqu’il met en évidence les influences croisées et successives que Verlaine et Nouveau auront sur la rédaction de cet ouvrage. C’est d’ailleurs un des apports les plus intéressants de ces Illuminés qui choisit de remettre au centre la figure méconnue de Germain Nouveau (poète inspiré mais dont l’histoire de la littérature retiendra moins le nom que ces deux illustres contemporains) et son rôle capital dans la publication du manuscrit de Rimbaud. Le récit pose ainsi en filigrane la question de ce que serait devenue l’œuvre du natif de Charleville-Mézières sans le concours de ses deux acolytes. Car si cette histoire est affaire d’écrits, elle est aussi, et surtout, tissée de relations et de sentiments. Que ce soit l’épisode du coup de feu furieux de Verlaine à Bruxelles, l’attitude froide et provocatrice de Rimbaud ainsi que sa quête d’absolu, ou les rapports affectifs qui se nouent tour à tour entre ces hommes, tout concourt ici à mettre en scène la façon dont les Illuminations est irrigué de ces passions chaotiques. Le récit orchestre ainsi une danse entre les personnages, les lieux et les périodes, sautillant entre 1872 et 1886, cheminant de Londres à Paris jusqu’à Marseille, offrant par la même occasion une reconstitution saisissante de cette époque. Les périodes et les lieux sont caractérisés par des couleurs dominantes différentes et se retrouvent parfois superposés au sein d’une même page afin de caractériser les trajectoires émotionnelles disparates des différents personnages. Le sublime dessin de Dytar, qui semble comme baigné dans un brouillard halluciné, participe à créer une atmosphère de mystère et de fantasme autour de la création de cette œuvre. Le sentiment d’avoir sous les yeux de véritables peintures (dont le style évoque un autre grand du XIXe siècle, le peintre britannique Turner), fait de cette lecture un bonheur de la première à la dernière page.

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