Littérature française

Julia Deck

Le Triangle d’hiver

YG

✒ Yann Granjon

(Librairie Sauramps Comédie, Montpellier)

Le Triangle d’hiver, deuxième roman de Julia Deck, confirme avec éclat tout le bien qu’on pensait d’elle et nous entraîne, tambour battant, sur les traces d’une héroïne énigmatique et un peu fêlée.

Mademoiselle réside au Havre, quai de Southampton. Elle vit seule, n’a pas de famille, pas d’amis, dirait-on. Elle vit dans son monde, dialogue avec elle-même. Elle est un peu à l’ouest. Sans emploi, elle ne souhaite d’ailleurs plus travailler et aspire plutôt à une nouvelle vie. Elle décide donc de prendre l’identité de la romancière Bérénice Beaurivage, tout droit sortie d’un film de Rohmer. À Saint-Nazaire, elle rencontre un inspecteur (de navires) dont elle tombe amoureuse au premier regard, et Blandine Lenoir. Mais les triangles amoureux finissent mal, en général, et l’inspecteur un temps séduit par cette intrigante romancière trop discrète sur son travail, flatté par les débuts passionnés de leur liaison, finit par comprendre que Bérénice le mène en bateau. Il est vrai qu’elle se perd un peu dans ses rêves et ses mensonges. Vacillant au bord de son abîme intérieur, Mademoiselle est un concentré paradoxal de fragilité et de solidité, de présence et d’absence. C’est peut-être pourquoi elle voit le monde d’un œil géométrique : un espace, une géographie de rues, d’angles droits ou pas, de lignes de fuite, de murs, de portes et de couloirs. Une « géométrie de situation » dans laquelle son regard et son esprit trouvent une base solide sur laquelle s’appuyer, sans crainte que tout s’effondre. Avec un humour tragique, une apparente légèreté qui laisse toute sa place à la suggestion et à des révélations discrètes, Julia Deck nous offre un subtil deuxième roman à la précision topographique, dans lequel les transports sont ferroviaires plus que maritimes, et les voyages, intérieurs. Et la singulière construction en boucle met en lumière, sans mieux l’éclairer, la troublante histoire de cette nouvelle vie fantasmée… confirmant par la même occasion le talent original de Julia Deck.

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