Essais

Kevin Brownlow

La Parade est passée

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photo libraire

Chronique de Géraldine Huchet

Pigiste ()

En 1968, Brownlow, réalisateur anglais et grand spécialiste du cinéma muet, publie un livre considéré par tous les historiens du cinéma comme l’un des livres phares sur le sujet. La traduction de ce monument paraît enfin en français.

Que tous les amoureux de cinéma se précipitent ! Car non seulement il s’agit d’une édition revue et augmentée par l’auteur, mais surtout, le volume s’agrémente d’innombrables entretiens avec (presque) tous ceux qui ont créé l’âge d’or du cinéma muet : réalisateurs démiurges (Griffith, De Mille), stars iconiques (Louise Brooks, Gloria Swanson), grands comiques (Lloyd, Keaton), sans oublier techniciens talentueux, producteurs mégalomanes et d’innombrables seconds couteaux aujourd’hui tombés dans l’oubli. L’historien du cinéma est précis et érudit, mais il partage son savoir avec une éclatante gourmandise – le livre est ponctué de nombreuses photos de tournage –, multipliant les anecdotes et les analyses de séquences de films. « Ce n’était pas tant les stars ou les scénarios qui rendaient le cinéma muet magique. C’était la patience, le travail, l’opiniâtreté, la ténacité et la compétence de chaque technicien qui, en moins de dix ans, avait développé un artisanat pour en faire un art. » Ce passionné du Napoléon de Gance, qui a d’ailleurs contribué au sauvetage de nombreux films oubliés, nous entraîne ainsi sur le tournage catastrophique de Ben-Hur en 1925, enchaîne avec un hommage passionné aux monteurs et à tous ces artistes qui ne comptaient pas leurs heures et prenaient un immense plaisir à participer à l’industrie naissante du cinéma muet. On sent tout l’amour que Brownlow porte au genre lorsqu’il s’ingénie à montrer la modernité d’un plan ou d’une coupe. Le muet, « sans doute la période la plus riche de l’histoire du cinéma » , ne mérite pas les moqueries qu’il a suscitées lors de l’arrivée du parlant (trop lent, trop exagéré, trop mélodramatique, etc.), mais bien au contraire une vraie réhabilitation. La force de l’historien, c’est d’avoir visionné un nombre incroyable de bobines, et surtout d’avoir rencontré toutes ces personnes qui jouèrent un rôle dans l’aventure du muet, pour la plupart encore vivantes à l’époque de la première parution du livre et ravies de parler d’une époque oubliée mais passionnante, la leur.