Littérature étrangère

Haruki Murakami

La Cité aux murs incertains

QF

✒ Quentin Franchi

(Librairie La Comédie humaine, Avignon)

Il nous aura fallu attendre sept ans depuis le dernier roman du maître de la littérature japonaise. Les éditions Belfond nous ont fait patienter avec plusieurs publications comme T – Ma vie en T-shirts ou le recueil Première personne du singulier. Haruki Murakami nous revient en grande forme avec ce nouveau roman.

On y retrouve évidemment les éléments marquants qui ont fait le succès de Kafka sur le rivage, 1Q84 ou Le Meurtre du Commandeur, les thématiques chéries par son auteur : l’amour adolescent, la mort et son deuil impossible, les livres et les songes qui nous hantent ; et une délicieuse langueur qui alterne avec une étrangeté presque kafkaïenne, évoquant aussi les plus belles pages de la littérature gothique. Comme tout bon roman de Murakami, tout commence étrangement. Ici, une histoire d’amour naissante entre deux adolescents. C’est à la disparition de la jeune fille que notre amoureux entame une quête impossible pour la retrouver, à travers le temps, l’espace et l’inconscient, et nous nous retrouvons aussi abasourdis que notre héros par cette aventure presque fantasmagorique. C’est décidément une histoire d’amour digne de Shakespeare. Ce qui fait le sel de cette histoire, c’est sa genèse. Car cette Cité aux murs incertains ne date pas d’hier. Elle remonte au début de la carrière de Murakami, une première nouvelle qui, selon lui, n’aurait pas dû être éditée car trop imparfaite. Il reprendra ensuite ce lieu hors du commun pour le roman La Fin des temps, qui date déjà de 1985. Certains lecteurs auront donc une sensation de déjà-vu lorsque les premières pages seront parcourues mais il ne faut pas y voir une redite, bien au contraire. Ce geste de revenir dans ce pays imaginaire, qui lui aura pris quarante ans tout de même, il faut d’abord le voir comme une merveilleuse boucle enfin bouclée. Immense odyssée onirique, métaphysique et philosophique, cette Cité aux murs incertains vous surprendra certainement pour son rythme efficace et pourtant contemplatif. On avance dans la lecture comme on s’enfonce dans les tréfonds de notre âme : les images y sont brutes, presque subliminales. Murakami nous propose un espace liminal pour nos projections psychiques les plus intimes. Il nous livre aussi avec talent une sublime galerie de portraits, tous aussi mélancoliques les uns que les autres. Leur composition n’est pas sans rappeler cet art ancestral japonais qui consiste à ressouder les choses cassées avec de l’or. Ou encore cet adage : « ce sont les fêlures qui laissent passer la lumière ». Un texte qui prend la forme d’un roman testamentaire, en espérant que cette publication ne soit pas un chant du cygne. On referme ces pages en ayant vécu une magnifique histoire sur le deuil, la résilience. Une ode aux individus hors normes. Et c’est d’une beauté mélancolique parfaite.

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