Bande dessinée

Roberto Saviano

Je suis toujours vivant

illustration

Chronique de Camille Colas

Librairie L'encabanée (Saint-Paul-sur-Ubaye)

Qu’est-ce qui fait tenir un homme traqué lorsque sa vie ne lui appartient plus ? Roberto Saviano, auteur italien que nous avions découvert avec son roman-enquête sur la mafia, Gomorra, se met à nu dans cette bande dessinée sous les traits vifs et acérés d’Asaf Hanuka, dessinateur israélien.

La bande dessinée s’ouvre sur ces mots de Roberto Saviano : « Avec le temps, j’ai appris qu’il existe deux sortes d’histoires : celles qui se terminent par la mort du personnage principal et celles qui se terminent par sa victoire. L’histoire que vous allez lire ne s’achève ni sur sa mort, ni sur sa victoire, car tout se déroule sur un territoire entre ces deux dimensions ». D’emblée, le ton est donné. Les mots de Roberto Saviano ont un prix, celui de sa vie sous liberté conditionnelle. Enfant, Roberto Saviano assiste en pleine rue à un meurtre. L’homme poursuivi est débusqué car il avait uriné de peur. De là est né son engagement. Depuis cet événement tragique, Roberto Saviano s’est juré de ne plus jamais avoir peur quoi qu’il advienne. Depuis la publication de Gomorra où il raconte sa terre napolitaine peuplée d’ombres et de morts, Roberto Saviano vit sous protection policière permanente, soit depuis quasiment 5 500 jours. Et pourtant, malgré la dépossession de sa vie, il a fait le choix de ne pas se taire car parmi ses certitudes, il a celle-ci : « il ne faut pas penser que tout se vaut, que tout est perdu, que tout est pourri. Même si nous sommes ensevelis sous un tas de fumier, la vérité y fleurira ». Maintes fois condamné à mort et cible de la Camorra, cette figure de la lutte contre le crime organisé sur le sol européen vit de chambres d’hôtel en chambres d’hôtel, assisté au minimum de huit gardes du corps et ne se déplace qu’en voitures blindées. C’est le prix à payer pour continuer à vivre, c’est le prix à payer pour continuer à résister et à écrire avec une forme de sidération. Depuis sa vie recluse et solitaire, Roberto Saviano réfléchit à « ce qui fait que la vie mérite d’être vécue ». Pour résister, il s’accroche à des minuscules plaisirs anodins comme la mozzarella de bufflone d’Aversa, déambuler sans but précis, la musique, oublier ses clés de maison, les souvenirs, une rencontre fortuite, faire les courses, etc. Car sous surveillance policière, la vie entière est sous surveillance. Aimer, se soigner, visiter sa famille sont quasiment impossibles ou prennent des proportions abyssales. Si le lecteur de Gomorra n’avait pas saisi le renoncement individuel de Roberto Saviano à sa vie et à sa liberté au nom d’un attachement à des valeurs universelles et humanistes, le lecteur ne peut plus ici l’ignorer avec cette chronique de sa vie bouleversée. Son œuvre est nécessaire, espérons que les mots soient plus forts que les fusils.