Littérature française

Ivan Jablonka

En camping-car

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photo libraire

Chronique de Anaïs Ballin

Librairie Les mots et les choses (Boulogne-Billancourt)

« Nous sommes tous des êtres d’Histoire. » Cette phrase, prononcée par l’historien émérite Ivan Jablonka constitue à elle seule une définition de ce que peut être l’Histoire. C’est ce qu’il démontre, et avec quel talent, dans un nouveau livre, En camping-car, publié au Seuil.

Ivan Jablonka, auréolé d’un prestigieux et mérité prix Médicis pour Laëtitia en 2016 (Seuil), nous entraîne cette fois-ci sur les routes de ses souvenirs d’enfance. Plus précisément, ceux des vacances de son enfance : les voyages dans « le bus », nom donné au Combi Volkswagen beige qui le conduira, entouré de sa famille, sur les routes de la Grèce, du Maroc, de l’Italie parmi d’autres contrées méditerranéennes. Coutumier d’une certaine conception de l’Histoire que l’on saisit et appréhende par la « la petite histoire » – comprendre celle de tout un chacun, celle qui fait nos souvenirs et notre être au monde – Jablonka fait ici de ses souvenirs et de son enfance le matériel à une fresque grandiose. Une épopée moderne et heureuse dont il se sert pour dresser le portrait d’une époque, celui d’une Europe qui s’appelle alors la « CEE », celle d’une indolence salutaire, celle des cartes postales et des coloriages à l’arrière du combi, sans ceinture de sécurité et d’une certaine idée de la liberté, aussi et surtout. Souvenirs heureux, teintés malgré tout d’une certaine injonction, d’une obligation au bonheur portée par une histoire familiale qui transforme ce dernier en acte de résistance. Loin du récit autobiographique, loin de la facilité des souvenirs d’enfance et de l’étalage auto-centré, Ivan Jablonka en historien virtuose et en observateur aguerri du monde, de la société et des ses enjeux, construit une fois de plus un texte d’une précision déconcertante. Empreint de nostalgie, d’intelligence et de justesse, avec en filigrane des thématiques déjà présentes dans ses œuvres précédentes (le destin tragique des grands-parents, une certaine tristesse latente chez Laëtitia enfant) ces vacances en camping-car se révèlent une réflexion profonde et salvatrice.