Littérature étrangère

Dan Simmons

Drood

RJ

✒ Renaud Junillon

(Librairie Lucioles, Vienne)

Dan Simmons est un authentique conteur, ses multiples talents d’écrivain tendent tout entier vers l’art de raconter des histoires. Avec Drood, il met en scène les cinq dernières années de la vie de Charles Dickens, mêlant faits historiques et fiction, références littéraires et réflexions sur l’acte de création.

De l’aveu même de Dan Simmons, l’œuvre littéraire de Charles Dickens ne l’a jamais passionné. C’est seulement à la lecture de la biographie de Peter Ackroyd qu’il se lance dans l’écriture de Drood. Les dernières années de la vie de l’ Inimitable – surnom de Charles Dickens – n’étaient que très peu abordées, laissant un sentiment de frustration et de mystère qui ne pouvait que captiver un auteur tel que Dan Simmons…

Roman historique, roman de genre traversé de références littéraires, mélange habile de faits avérés et de pure fiction, telles sont les particularités stylistiques de ce livre, qui se présente aussi comme un prodigieux outil d’érudition littéraire. L’auteur rappelle par exemple que le premier volume du célèbre cycle SF des Cantos d’Hypérion reprend la trame narrative des Contes de Canterbury de Chaucer, que Ilium transpose l’Iliade d’Homère dans l’univers du space opera et multiplie les références à H. G.Wells ou à Shakespeare, que l’esprit d’E. A. Poe plane tout au long des pages de Terreur, qui raconte la survie de l’expédition de sir Franklin emprisonnée dans les glaces de l’Arctique en 1845…) Drood fait par ailleurs partager au lecteur les cinq dernières années de la vie de Charles Dickens, marquées par un accident de train dont il gardera des séquelles psychologiques. La grande habilité de Dan Simmons est de bâtir son histoire sur l’ambiguïté de la relation Collins-Dickens (en faisant du premier le narrateur du roman), deux amis intimes qui furent aussi deux écrivains célèbres. Mais que penser des propos que nous rapporte ce narrateur dévoré par sa dépendance au laudanum et sujet aux hallucinations : chaque nuit, Collins doit fuir une femme à la peau verte et aux canines protubérantes qui tente de l’égorger dans l’escalier ; sans parler de ce double installé dans le bureau qui vole encre et papier pour écrire son propre livre… Mais la dimension fantastique, effrayante, s’incarne véritablement dans le personnage que Dickens rencontre parmi les survivants de son accident de train : un homme étrange nommé Drood, à la blancheur cadavérique et au nez tronqué, vivant dans les galeries souterraines de la « ville-d’en-bas ». Cette figure fantomatique serait détentrice d’un puissant pouvoir hypnotique : Dickens est-il manipulé ? Le premier sentiment de Collins est de protéger son ami, mais son impression de se trouver lui aussi au cœur d’une manipulation prend le dessus. À moins que ses propres fantômes – l’angoisse du créateur, la jalousie – ne tentent de prendre le pouvoir.

Dan Simmons est un réinventeur de mythes. Il s’approprie les paraboles et les thèmes qui forment notre culture littéraire, notre imaginaire collectif, il affectionne les recoins sombres et se fait un plaisir de les éclairer à sa manière.

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