Littérature française

Sylvain Prudhomme

Coyote

MS

✒ Marianne Stelmach

(Librairie Au détour des mots, Tournon-sur-Rhône)

En 2018, à l'initiative de la revue America et après avoir terminé son roman Par les routes, Sylvain Prudhomme parcourut, en auto-stop, plus de 2500 km le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis pour se confronter au mur que Trump souhaitait construire et pour y rencontrer celles et ceux qui la vivent « en su carne propia ».

Sylvain Prudhomme nous donne à découvrir une autre de ses facettes : celle de l'écrivain voyageur, conteur, à la fois reporter et presque ethnologue. Car Coyote n'est pas un roman, il s'agit d'un carnet de voyage, assez singulier à bien des égards. Comme il le rappelle dans ce que l'on peut considérer comme sa préface, le voilà rattrapé par sa propre fiction : il endosse le rôle de l'un de ses personnages, celui de l'auto-stoppeur et c'est par ce regard que nous allons nous-mêmes rencontrer Juan, José, Doug, Sandra, Alfredo et tant d'autres. Quand Sylvain Prudhomme monte avec eux, nous embarquons aussi. Nous suivons la conversation qu'il a avec ses hôtes, nous n'entendons pas ses questions, elles ne sont jamais retranscrites, mais nous écoutons les réponses présentées sous la forme d'une adresse directe, comme le faisait le personnage de Bahi, dans son roman Là, avait dit Bahi (Gallimard). Nous voyons leur étonnement face à ce drôle de Français qui fait de l'auto-stop dans un pays, les États-Unis, où cela est à peine toléré, nous entendons leur histoire nécessairement liée à l'immigration, au mur, à la peur d'un Trump président. Parce qu'à vrai dire, ce ne sont pas les blancs qui le prennent volontiers en voiture. Cependant, Coyote n'est pas qu'une addition de rencontres, une compilation d'anecdotes drôles ou effrayantes, c'est avant tout une expérience physique des lieux, une confrontation entre ces villes fantasmées dans l'imaginaire collectif et la réalité. L'auteur fait, entre chaque portrait, des allers-retours entre ce qu'il voit, ce qu'il expérimente et les lectures qu'il a eues ou traduites ‒ on pense ici à la biographie de Pancho Villa par John Reed (Allia) ‒, aux films qu'il a vus ‒ tel Sicario de Denis Villeneuve. Dans ces courts passages dans lesquels il prend la parole, nous découvrons la vie crue de la frontière, vivante, bruyante, dangereuse du côté Mexique et celle plus austère, morne et pas moins dangereuse quand on est un « pollo », un « dos mouillé », un immigré clandestin, du côté américain. Encore une fois, Sylvain Prudhomme réussit à nous surprendre en faisant ce qu'il fait de mieux, à savoir écrire des bouts d'humanité, sans chercher à cacher le pire. Une frustration cependant peut venir une fois la lecture de Coyote terminée : celle de quitter toutes ces personnes rencontrées et ne pouvoir entendre Alfredo nous chanter sa chanson.

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