Littérature étrangère

Sofi Oksanen

Baby Jane

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photo libraire

Chronique de Catherine Florian

Librairie Violette and co (Paris)

Ce deuxième roman de l’auteure du remarquable Purge (Le Livre de Poche) s’attache à démonter les rouages d’une mécanique infernale, dont l’issue ne peut être que fatale : la mort ou la folie. Il laisse son lecteur fasciné.

La narratrice raconte sa rencontre et son histoire d’amour avec Piki, de dix ans son aînée. « Elle était celle que je cherchais ». Elle est une lesbienne branchée d’Helsinki qui l’initie à l’amour physique et lui fait découvrir le plaisir et la passion. La narratrice, jamais nommée, revient sur les événements qui se sont déroulés pour aboutir au drame final, déjà en germe au tout début du récit. Les signes de la dépossession et de la dépendance deviennent de plus en plus présents ; on pense à l’univers de Nan Goldin. Du rêve d’un amour partagé, d’une vie à deux aussi simple que de se « promener dans la neige fraîche et de contempler [leurs] traces de pas contiguës derrière [elles] », les amantes glissent vers l’enfermement où la manipulation règle les rapports. Les médicaments, l’alcool et le manque d’argent en deviennent le centre. Dépressions et peur panique du monde extérieur, automédication sauvage et rupture avec un suivi thérapeutique, finissent par les conduire à de morbides extrémités. L’amour de la narratrice pour Piki est obsessionnel. Elle jalouse son ex-amante et l’alcool, car tous deux détournent Piki de ce qui devrait être son unique centre d’intérêt, la narratrice elle-même. « J’essayais de l’aider même si cela ne faisait qu’aggraver les choses ». L’inquiétude pour l’autre est nocive. Les hommes sont présents, mais ils semblent appartenir à une autre dimension. Les personnages féminins les instrumentalisent afin d’obtenir de l’argent, pour se venger ou se procurer gîte et couvert contre des services sexuels. Le titre fait référence au film de Robert Aldrich Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, qui dépeint une relation toxique entre deux sœurs. Le roman décrit de même l’interdépendance autodestructrice de deux amantes, moteur de leur vie. Chaque héroïne, comme dans le film, est tour à tour bourreau et victime.