Sa voix douce et calme, ses intonations chantantes et son ton bienveillant sont maintenant bien connus de celles et ceux qui le suivent et l’écoutent guider, conseiller, proposer toutes sortes d’exercices de méditation de pleine conscience. Il est ainsi remarquable, de livre en livre, de ressentir, d’« entendre » cette voix et l’ambiance qu’elle dégage au fil des pages. Ici, avec Le Temps de méditer, il offre à son lecteur un parcours méditatif, alliant explications et réflexions diverses, puis courtes suggestions d’exercices. Fidèle à sa double casquette de vulgarisateur d’une part, et de psychothérapeute d’autre part, il l’emmène avec lui, via la philosophie, la psychologie ou encore la médecine, à la découverte d’un univers plus attentif, plus calme et plus apaisé. Et puisque cet univers est, comme il le dit lui-même, facilement accessible et gratuit, pourquoi ne pas profiter de l’été pour s’y lancer ?
PAGE — Avec ce nouveau projet, vous continuez votre travail inlassable de promotion de la méditation, à la fois « mode » et souvent peu comprise. Quelles idées fausses souhaitez-vous corriger ?
Christophe André — Souvent, lorsqu’on parle de méditation, des clichés arrivent à l’esprit : un monastère, quelque part en Orient, des méditants silencieux et comme coupés du monde… Ce genre d’images correspondent bien à une réalité et à une source d’inspiration, mais ce n’est pas ce type de méditation que j’utilise. La méditation de pleine conscience, que je souhaite faire largement connaître, s’adresse à des personnes engagées dans la vie active. Elle est destinée à nous aider à mieux habiter et faire bouger le monde, plutôt que de nous en éloigner. Ce qui caractérise la pleine conscience, au sein du monde très vaste des méditations, ce sont trois points : sa démarche laïque, très simple d’accès ; ses bénéfices sur la santé du corps et de l’esprit ont été largement validés par la recherche scientifique. Pour rappel, elle consiste, entre autres, à tourner régulièrement son esprit vers l’instant présent, de manière profonde et dépouillée.
P. — Par son alternance d’exercices et de parties plus théoriques, votre livre est une preuve que la méditation est réellement accessible à tous. Chacun peut en tirer d’immenses bénéfices. Quels leviers resteraient-ils encore à activer pour la faire mieux connaître ?
C. A. — Effectivement, l’intérêt de la méditation n’est plus à démontrer. Il nous reste désormais plutôt à rassurer : pour beaucoup, elle reste quelque chose d’ésotérique, mystique, voire sectaire et inquiétant. Mais la situation progresse : avec quelques confrères, nous avons été récemment invités à présenter nos travaux devant des commissions à l’Assemblée nationale et au Sénat, pour rassurer nos élus sur le fait qu’il s’agissait de quelque chose de laïc et d’utile ! Cela permettra sans doute à la pleine conscience de continuer à être utilisée dans les hôpitaux, mais aussi dans les écoles par exemple.
P. — Votre livre présente un certain nombre de témoignages de pratiquants de la méditation et les bénéfices qu’ils en retirent. À un niveau plus large, à quoi pourrait ressembler selon vous, une société plus « méditante » ?
C. A. — Les bénéfices traditionnels de la méditation sont l’apaisement (elle apporte un meilleur équilibre émotionnel) et le discernement (elle nous aide à cultiver recul et objectivité). Mais elle permet aussi de nombreux autres changements psychologiques. Avec Matthieu Ricard, nous aimons bien définir la méditation comme un « entraînement de l’esprit ». Et cet entraînement permet de cultiver également des qualités telles que la bienveillance, la compassion, la gratitude, toutes émotions sociales indispensables à une vie collective harmonieuse ; et bénéfiques, au passage, à la santé, ce qui me concerne beaucoup en tant que médecin ! On observe aussi que la pratique de la méditation de pleine conscience permet de s’affranchir des dépendances digitales (écrans, réseaux sociaux, etc.), de cultiver de meilleures relations aux autres, de se sentir davantage en lien avec la nature. Une société méditante serait ainsi une société plus pacifique, plus solidaire, moins dépensière et accro aux écrans : on peut toujours rêver !
P. — Votre réflexion est émaillée de penseurs, philosophes ou écrivains. Quels liens faites-vous entre méditation et lecture, deux pratiques à la fois proches et qui s’excluent mutuellement dans leur pratique ?
C. A. — C’est Freud qui écrivait : « Partout où je suis allé, un poète était allé avant moi ». Les littéraires et les philosophes n’ont pas attendu la naissance de la psychologie pour explorer la nature humaine ! Je rends volontiers hommage à leur perspicacité en les citant dans tous mes ouvrages. Deux exemples éclairants de ces liens étroits : un des pères de la psychologie contemporaine, William James, était le frère du romancier Henry James ; et le seul prix que Freud ait reçu, alors qu’il rêvait de prix Nobel, ce fut le prix Goethe, récompensant une œuvre littéraire en langue allemande. La lecture a ceci de commun avec la méditation qu’elle est une activité qui stabilise l’attention et qui approfondit notre réflexion ; c’est très précieux alors que nous vivons dans un monde de dispersion et de superficialité. Lire, ce n’est pas méditer, mais c’est tout de même une forme d’activité en pleine conscience : quand on lit, on ne fait que ça. Et dans nos enseignements de méditation, nous demandons à nos élèves d’avoir des temps de méditation classiques, en position assise ; mais aussi, tout au long de leurs journées, d’agir en pleine conscience : ne faire que manger, que marcher, que conduire, en évitant le multitâche comme la peste !