Dans la petite ville de Jeannette, au cœur du bayou, depuis l’ouragan Katrina et la marée noire causée par la British Petroleum, on tente de survivre. Quand le vieux Gus Lindquist embauche le jeune Wes pour la pêche à la crevette, il sait déjà que le pétrole aura bientôt raison de tout et tous. Les frères Toup se lancent dans la culture de la meilleure marijuana du Comté, alors qu’Hanson et Cosgrove, les pieds nickelés de la débrouille, multiplient les coups foireux, et que Brady Grimes tente d’empêcher toute action en justice à coups de milliers de dollars. Avec ce puzzle de personnages attachants, reliés les uns aux autres par ce bayou qui leur colle aux tripes, Tom Cooper écrit le roman d’un monde en cours de dissolution, un monde dont les valeurs se perdent, avalées par la corruption et les assauts d’une nature malmenée. Malgré tout, il suffit parfois de peu de choses pour faire changer le cours des choses. Wes Trench sera celui qui triomphera de l’adversité… S’il est prêt à en payer le prix.
Vous n’êtes pas originaire du bayou et, pourtant, on a le sentiment que vous y avez toujours vécu. Comment avez-vous travaillé pour donner l’impression au lecteur que vous êtes un bon gars du coin ? On vous a raconté, vous vous êtes documenté, vous avez parcouru le bayou à la nage ?
Tom Cooper — Ah ! Ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas allé nager dans le bayou. Je ne le recommande d’ailleurs à personne, vu les tortues serpentines, alligators et autres créatures qui y pullulent. Mais j’ai travaillé là-bas dans une communauté de bayou et j’ai passé beaucoup de temps sur l’eau. Sur l’eau, pas dedans, c’est la grande différence ! J’aime beaucoup pêcher, même si je n’excelle pas dans la discipline. J’ai grandi près du parc des Everglades, en Floride, qui, sous bien des aspects, ressemble beaucoup au bayou. Je pense que cette enfance pleine d’aventures, que beaucoup de jeunes ne vivent plus aujourd’hui, a été formatrice pour ce livre et le sera peut-être pour mes futurs projets. De nos jours, les enfants sont tellement déconnectés de la nature… Ouah, j’ai l’air vieux en disant ça ! J’ai 42 ans et je me souviens d’un temps où c’était une punition pour moi que de rester à l’intérieur de la maison. Tout ce que je voulais faire, c’était sortir et explorer les bois. Mes amis d’alors, eux, voulaient seulement regarder MTV, qui, à l’époque, diffusait en boucle les trois vidéos dont ils avaient les droits.
Votre roman est construit comme un puzzle, dont chaque personnage serait l’une des pièces. Aviez-vous pensé cette construction narrative d’emblée, ou s’est-elle imposée par la suite ?
T. C. — Cela s’est imposé par la suite. J’aime beaucoup travailler de façon fractionnée. Je n’ai pas la longévité et la concentration nécessaires pour travailler linéairement. Je n’aime pas non plus l’idée d’adhérer de trop près à un plan, car alors l’écriture devient contrainte – l’écriture est une contrainte, bien sûr, mais je ne veux pas que cela devienne une corvée. Écrire un roman comme un puzzle est à la fois effrayant et grisant – à condition de parvenir à une cohérence générale, ce qui est généralement le cas. Mais cela prend du temps. Je suppose qu’on pourrait y voir une ressemblance avec les films de certains réalisateurs, comme Robert Altman, qui ne trouve un ordre narratif à ses plans qu’après les avoir filmés. En d’autres termes, la structure n’apparaît réellement que dans la salle de montage. J’écris presque le double de ce qui est finalement publié. Tout se joue au moment de la révision et de la correction. Si vous aviez vu le premier brouillon du roman, vous n’auriez jamais voulu m’interviewer. C’était vraiment mauvais.
Votre livre évoque deux tragédies : l’ouragan Katrina et la marée noire de la plate-forme pétrolière BP. Pourtant, il s’agit d’une comédie. Vos personnages sont des perdants magnifiques, des rois de la débrouille.
T. C. — J’apprécie le fait que vous ayez trouvé le livre comique. J’aime penser qu’il est imprégné d’humour noir. Ceux qui me connaissent – soit, je pense, un total de dix personnes – vous diront que c’est ma personnalité. D’un autre côté, j’espère que le roman n’est jamais loufoque.
Au fur et à mesure de la lecture, vos personnages, même s’ils ne sont pas spécialement sympathiques au premier abord, deviennent des types dont on espère qu’ils parviendront à s’arracher à leur mouise – bon sauf Brady Grimes ! Est-ce que cela vous a fait le même effet au moment où vous écriviez ?
T. C. — C’est une excellente question. Absolument, c’est ce que j’ai ressenti. Je n’y avais pas pensé auparavant, mais écrire un livre, c’est aussi cela : faire un exercice de funambule.
L’humour est omniprésent dans le roman (même si les blagues de Lindquist sont bien pourries !)Boris Vian, un auteur français, écrivait que : « L’humour est la politesse du désespoir.» Êtes-vous d’accord avec lui ?
T. C. — Il se peut qu’il touche quelque chose du doigt, en effet. Je souffre d’une légère dépression, comme beaucoup de gens, mais je ne le montre pas en public ou devant mes amis. C’est déplacé. Je veux dire : qui n’est pas déprimé ? Il faut bien faire avec, pas vrai ! Je mets un masque public. Quand on vieillit, on se rend compte que ses problèmes ne sont pas spéciaux, ni même intéressants, et s’il faut en parler autant le faire avec légèreté.
Le bayou est un des personnages du livre. Qu’est-ce qu’il y a de particulier dans cet endroit ? Est-ce le genre de lieu où il faut être né pour pouvoir s’y sentir bien ?
T. C. — Peut-être qu’il faut y être né, mais je n’en suis pas sûr. Les habitants de la Nouvelle-Orléans commencent à me considérer comme quelqu’un du coin, même si je n’y suis pas né. Or, je pense que la plupart des gens habitant le bayou ont vu le jour ici.