Page — Dans votre nouveau roman, Les Vies multiples d’Amory Clay, vous racontez la vie d’un femme photographe, fictive, qui traverse le XXe siècle. Où et comment avez-vous rencontré Amory ?
William Boyd — J’ai décidé, au tout début, que je voulais écrire la vie complète d’une femme. C’était la base, mon point de départ. J’ai eu ensuite tout à inventer d’elle. J’ai donc commencé à me poser des questions. Qui était cette femme ? Quand était-elle née ? Quand et où avait-elle vécu ? Que faisait-elle dans la vie ? Petit à petit j’ai commencé à entrevoir des réponses. Et j’ai décidé qu’elle devait être photographe. J’ai choisi cela pour lui procurer une forme de liberté – de voyager, d’être indépendante, d’expérimenter des choses, tout ce qu’une autre femme n’aurait pu faire.
Page — Pourquoi est-ce que cette notion de liberté est si importante pour vous ?
W. B. — Je pense vraiment que la vie privée des êtres humains n’a pas franchement évolué ces derniers siècles. Nous avons toujours eu les mêmes désirs basiques, les mêmes besoins, les mêmes déceptions etc. En donnant à Amory une sorte de liberté professionnelle dans sa vie, je peux montrer qu’elle est une jeune femme que tout le monde peut comprendre en lisant ses aventures aujourd’hui, en 2015. Ainsi, en montrant cette liberté dans sa vie privée, en donnant aux lecteurs la possibilité de la connaître dans ses moments les plus intimes, je leur permets de s’identifier encore plus à elle. Et enfin, cette notion de liberté me permet à moi, l’auteur, d’explorer des moments du xxe siècle et des aspects de la condition humaine qui m’ont toujours fasciné.
Page — Le livre est parsemé de photos. D’où viennent-elles ? Est-ce que ce sont elles qui vous ont guidé dans l’écriture ou sont-elles arrivées après, en illustration ?
W. B. — J’ai d’abord écrit l’histoire et ensuite j’ai cherché les photographies. En fait, j’ai trouvé la plus grande partie de ces photographies dans des brocantes, en Dordogne. D’autres proviennent de brocanteurs à Londres, et, évidemment, de sites sur Internet. Il y a beaucoup de sites Internet sur lesquels vous pouvez acheter des photos anonymes en noir et blanc pour quelques pennies. Parfois – c’est peut-être arrivé à cinq ou six reprises – j’ai découvert une photographie qui était tellement bonne que j’ai légèrement changé mon histoire pour pouvoir l’utiliser ! Mais dans l’ensemble, c’est l’histoire d’Amory qui a dicté la recherche d’images.
Page — Est-il facile, en tant qu’écrivain homme, de se glisser dans la peau et dans l’esprit d’une femme ?
W. B. — J’ai une méthode particulière qui a l’air de fonctionner plutôt très bien (j’ai déjà écrit quatre livres en me plaçant du point de vue d’une femme). Ce que je fais, c’est ignorer toute idée reçue à propos de la différence entre les hommes et les femmes, et toute question de sexual politics*. Je me concentre uniquement sur la personnalité. Si je me retrouve confronté à un problème qui semble lié à la question du genre, je m’interroge : « Que ferait cet individu dans cette situation ? » Je ne me dis jamais : « Que ferait une femme ? » En suivant cette technique je pense que j’arrive à atteindre quelque chose de plausible et d’authentique.
Page — Vous avez choisi un procédé d’écriture plutôt intéressant, en commençant à raconter les événements au moment où ils ont lieu, mais en terminant beaucoup plus tard, quand Amory est plus sur la fin de sa vie. Pourquoi avoir fait ce choix ?
W. B. — J’ai fait ce choix pour des raisons techniques d’écriture. Quand vous écrivez l’histoire d’une vie entière, vous ne pouvez pas juste écrire de manière chronologique, sinon vous vous retrouvez avec un livre de 2000 pages ! La narration a besoin d’être fracturée. J’ai donc Amory qui écrit son journal à la fin de sa vie, en 1977, et qui ensuite se replonge dans ses mémoires, dans la vie qu’elle a vécue. Cette technique du « cross-cutting » (montage alterné) me permet de mettre plus de choses dans ce roman que ne l’aurait permis une simple narration chronologique. L’histoire semble ainsi plus riche, plus longue.
Page — En quatre mots, comment décririez-vous Amory ?
W. B. — Je la décrirais comme la décrit sa fille : « Jolie, têtue, intelligente, compliquée ».
* William Boyd fait là référence au livre de Kate Millett, sorti en 1970, traduit en français sous le titre La Politique du mâle (Des femmes-Antoinette Fouque).