Littérature étrangère

Douglas Kennedy

Les apparences

Entretien par Nathalie Iris

(Librairie Mots en marge, La Garenne-Colombes)

Cela faisait longtemps que je n’avais pas été à ce point envoûtée par à un roman de Douglas Kennedy. L’auteur renoue avec l’écriture haletante de L’Homme qui voulait vivre sa vie (Pocket), il emmène son lecteur sur de bonnes pistes… qui parfois s’avèreront fausses, et il est impossible de lâcher Mirage avant d’avoir tourné la dernière page.

Page — Douglas, pouvez-vous en quelques mots nous résumer l’histoire de ce roman ?
Douglas Kennedy — Robyn et Paul sont deux quadras new-yorkais fraîchement mariés. Paul est artiste, Robyn expert-comptable. Paul a décidé d’emmener Robyn en vacances au Maroc pour quelques semaines. Robyn y voit l’opportunité d’y faire un enfant, Paul semble également ne rêver que de cela. Mais très vite, Robyn apprend par un mail que lui envoie son associé que Paul l’a trahie. Hors d’elle, Robyn décide de quitter Paul. C’est alors que Paul disparaît, mortifié de culpabilité et menaçant de se donner la mort. Malgré son dégoût pour ce que lui a fait cet homme, Robyn se lance à sa recherche afin de l’empêcher d’accomplir un geste irrémédiable…

Page — Pourquoi avoir choisi le Maroc comme cadre de l’intrigue ?
D. K. — J’ai découvert le Maroc pour la première fois en 1982. J’étais allé en Égypte l’année précédente. J’ai tout de suite trouvé que le Maroc avait un aspect extrêmement romanesque. Depuis j’y suis retourné douze fois. Le Maroc est très ancré dans l’histoire et la tradition, en même temps que c’est un pays aux aspects très modernes. Le Maroc est aussi à cheval entre la culture arabe et la culture méditerranéenne. C’est après avoir écrit Cinq jours (Pocket) que j’ai songé à un roman dont l’action se situerait au Maroc. Je savais que ce décor me permettrait de créer une grande aventure, au milieu de paysages complexes, denses et romanesques. Et puis, je suis retourné au Maroc en 2012, j’y avais organisé un voyage avec ma femme d’alors, dans les dunes et le désert. Il y faisait très chaud, quarante-trois degrés, et nous étions comme au milieu de nulle part. C’est alors qu’une silhouette est apparue, une fillette de 11 ans. Elle venait de l’oasis voisine. Cette apparition avait quelque chose de magique, d’irréel. Je lui ai demandé : « Pourquoi es-tu ici, que fais-tu ? » Elle m’a répondu : « Mais je vis ici ! » Sa réponse a déclenché quelque chose en moi. J’étais désormais sûr qu’un jour je la mettrais en scène dans un roman.

Page — Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi pour titre de ce roman Mirage ?
D. K. — Je pense que dans la vie nous nous soumettons nous-mêmes à de nombreux mirages. Nous avons toujours tendance à voir ce que nous voulons voir et à croire ce que nous voyons, qui n’est pas forcément la réalité. Robyn est la première « victime » de ces hallucinations : elle croit voir son mari à de nombreuses reprises et cela la pousse à accomplir des actes ou à aller dans des endroits où elle n’aurait pas forcément choisi d’aller. Jusqu’à la fin du livre, elle pensera voir son mari et le lecteur ne saura jamais, finalement, s’il s’agit de fruits de son imagination ou de la réalité. Pour en revenir au décor du roman, évidemment, le désert est le lieu idéal où l’on peut voir des mirages. Les visions de Robyn sont donc renforcées par le lieu où se déroule l’action.

Page — Le personnage principal est Robyn. Mais son mari est aussi un personnage central, même s’il apparaît très peu.
D. K. — Effectivement. Paul est présent à toutes les pages, soit dans l’imagination de Robyn, soit à travers les personnages que rencontre Robyn et qui ont côtoyé de près ou de loin son mari. C’est un des thèmes que j’ai choisi de travailler dans ce roman par le biais de cette présence-absence d’un des personnages principaux : jusqu’à quel point connaît-on une personne, aussi proche soit-elle ? En l’occurrence, Robyn n’aurait jamais pu imaginer l’acte de trahison de Paul, parce qu’elle avait une image idéalisée de son mari. De plus, Robyn est expert-comptable, c’est un métier très rationnel. Robyn est d’ailleurs une femme extrêmement rationnelle. À l’opposé de Paul qui, lui, est un artiste, beaucoup plus dans l’émotion et dans les sensations. C’est souvent le cas dans les couples, d’ailleurs, où les caractères sont opposés. Finalement, Paul n’est pas antipathique, il est seulement très irresponsable. Lorsqu’il en prend conscience, cela le rend malheureux… mais c’est trop tard.

Page — Parlez-nous du rôle de l’argent dans ce roman.
D. K. — Oui, l’argent est un problème dans le couple. Il y a souvent l’idée que l’argent aide au bonheur, mais on s’aperçoit que ce n’est pas le cas. L’argent facilite les choses, mais ne rend pas heureux. Robyn va mettre tout son argent dans la recherche de Paul, car bien qu’il l’ait trahie, elle voudrait le sauver, de lui-même et de son irresponsabilité. L’argent est un moyen, certainement pas une fin.

Page — Ce roman est aussi un bel hommage aux Marocains.
D. K. — Je voulais brosser un portrait chaleureux du Maroc. J’espère que cela se ressent. Les Marocains que j’ai mis en scène ont tous quelque chose à apporter et des amitiés fortes vont se nouer entre Robyn et ces derniers. J’espère que le lecteur aura du plaisir à découvrir ces personnages et ce pays, que j’aime particulièrement.

 

 

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