Littérature étrangère

Hanif Kureishi

La littérature à l’état pas si pur

LS

Entretien par Lucie Sawina

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Hanif Kureishi est un amoureux des mots. Auteur, dramaturge, scénariste et réalisateur, il démontre une fois encore la puissance de la littérature avec son nouveau roman Le Dernier Mot, qui décrypte, non sans les égratigner au passage, le monde des mots et surtout celui des écrivains.

Dans son dernier roman, Hanif Kureishi oscille entre tendresse et coups de griffes à l’égard de ses personnages, notamment ceux de Harry, jeune écrivain aux dents longues et à la naïveté touchante, mandaté par son éditeur Rob pour écrire la biographie de l’auteur dont il est un admirateur inconditionnel, et Mamoon, grand romancier et sphinx pas si serein. Leur rencontre aura lieu sur le territoire de Mamoon, dans cette campagne anglaise typique où, après un round d’observation, les coups, aussi bien psychologiques que physiques, vont pleuvoir. N’épargnant personne, pas même l’entourage de nos deux bagarreurs, Hanif Kureishi nous fait partager la tendresse qu’il a pour les auteurs. Drôle et corrosif à la fois, Le Dernier Mot questionne la création, l’art et l’humanité. Une fois de plus Hanif Kureishi, avec subtilité et esprit, ouvre une porte sur la nature humaine que l’on n’a pas envie de refermer !

 

Page — Comment vous est venu le sujet du Dernier Mot, qui met face à face deux auteurs et leurs univers ?
Hanif Kureishi — Je viens d’une grande famille indienne musulmane. Mon père était pakistanais, j’ai donc consacré la plupart de mes textes à de vieux Indiens. J’ai également passé une grande partie de ma vie en tant qu’écrivain, c’est pourquoi il m’a semblé intéressant d’écrire sur la rencontre de deux auteurs, la vision que peut avoir un jeune écrivain sur un auteur confirmé, leur rapprochement mais aussi leur confrontation. Je voulais également parler du processus d’écriture, de ce qui fait un auteur, ce qu’il représente pour son entourage mais aussi au sein de la société, quelle est sa place dans la culture de son pays. C’est un sujet auquel j’ai commencé à penser après la fatwa lancée contre Salman Rushdie en 1989.

Page — Ce roman est une comédie douce-amère. Pourquoi avoir choisi ce registre ?
H. K. — J’aurais pu placer ce roman sur un bateau ou dans un hôtel, mais j’étais très intéressé par l’idée d’écrire une comédie se situant dans la campagne anglaise. Vous menez vos personnages dans un environnement inhabituel, qu’ils ne connaissent pas, et vous observez ce qui en découle, quels sont leurs rapports, leurs conversations, comment l’amour ou la haine peuvent émerger de ces situations. C’est un sujet typique de la littérature britannique.

Page — Dans votre roman, Rob l’éditeur revêt une grande importance pour Harry pourquoi ?
H. K. — Il aime les livres et la littérature. Il s’engage envers Harry, c’est ce qui est important. Il est peut-être un peu rude d’aspect et semi-alcoolique, mais ses connaissances sont un vrai soutien pour le jeune auteur. En tant qu’écrivain, c’est vraiment intéressant et important de travailler avec quelqu’un qui a cette connaissance, les éditeurs savent où ils peuvent vous emmener, ils vivent de ce marché du livre et sont en connexion avec lui.

Page — Vous avez écrit la biographie de votre père en 2004. Cela vous a-t-il aidé dans la construction de votre roman ?
H. K. — C’est une question intéressante et c’est une curieuse pensée de savoir quelle influence cela a pu avoir sur le roman. Mamoon possède sa propre vision de la vie et des événements qui la composent. Dans la confrontation des deux personnages se pose la question de la description de la vie d’un autre.

Page — Votre dernier roman fait la part belle aux écrivains et à la littérature. Mamoon est en effet un auteur qui a compté sur le plan politique, en dénonçant certaines injustices. Pour vous un auteur doit-il tenir ce type de rôle ?
H. K. — En Occident, et plus particulièrement en France, on a tendance à idéaliser les écrivains. Quand j’étais enfant, Balzac, Stendhal ou Baudelaire étaient pour moi de véritables figures romantiques et j’étais fasciné par eux. Selon les époques et les lieux, les auteurs sont des symboles importants. Encore aujourd’hui, d’ailleurs, comme c’est le cas de Pamuk en Turquie ou de Salman Rushdie ici, en Grande-Bretagne. Ils prennent des positions, expriment des idées qui peuvent déranger.

Page — Comme Harry, avez-vous besoin d’un environnement spécifique pour écrire ? 
H. K. — J’écris chez moi. Là où les gens vont et viennent, les enfants courent et le téléphone sonne… Cette atmosphère me convient très bien. Je peux écrire aussi bien dans le train que dans un café. Souvent en marchant dans la rue, des idées me viennent, mais ce n’est que lorsque je suis assis à une table de travail que je peux réellement les mettre en ordre. En tant qu’écrivain, je vis chaque jour comme une expérience.

Page — Vous êtes scénariste, réalisateur dramaturge et auteur. Quel est le moyen d’expression qui vous fait vous sentir le plus libre ?
H. K. — Quand j’écris un roman, je le fais entièrement seul, alors que lorsque que j’écris un scénario, il faut que le réalisateur ait envie de filmer ce que j’écris. Quand j’écris un livre, j’en suis le propre metteur en scène : je suis donc par définition bien plus libre dans mes choix.

Page — Dans la plupart de vos romans, vous dénoncez le racisme. Que pensez-vous de ces comportements ?
H. K. — En Angleterre par exemple, les choses ont changé depuis mon enfance. Je suis né et ai grandi dans les années 1950 et 1960, une décennie au cours de laquelle il s’est créé une société multiculturelle très riche. Cela n’a pas été de tout repos, mais je pense que les choses auraient pu être bien pires. Aujourd’hui, les mouvements de population sont plus importants. Vivre avec l’autre devient une évidence géopolitique et économique. Les gens voyagent de plus en plus pour vivre ou travailler ailleurs que sur leur terre natale. Je pense que la question est de savoir comment assimiler d’autres cultures et d’autres traditions.

Page — Dans une interview de mai 2011 donnée au magazine Lire, vous parliez de votre discussion avec V. S. Naipaul qui vous disait qu’il avait « épuisé sa parole, qu’il n’avait plus rien de neuf à dire ». Pensez-vous à votre dernier mot ?
H. K. — Quand vous êtes artiste, que vous venez de finir un film ou un livre, vous vous dites toujours : « Ça y est ! C’est fini, c’est la dernière chose que j’écrirai, filmerai ou peindrai ». Mais la créativité fait que les idées rejaillissent de nouveau et que vous êtes absorbé par un nouveau projet. Quand je regarde autour de moi les artistes plus âgés, je me dis que la création conserve. Un artiste vieillit mieux car il peut faire plus longtemps ce qu’il aime, alors non, pour le moment, je ne pense pas au dernier mot !

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