Littérature française

Antoine Choplin

Retrouvailles

Entretien par Emmanuelle George

(Librairie Gwalarn, Lannion)

Deux îles japonaises, un père ouvrier, une fille architecte. Leurs retrouvailles, faites de silences, de pudeur et de grâce, les ramèneront à leurs souvenirs. Et l’irruption dans leur présent d’un passé passionné et tragique, magnifiquement orchestrée par Antoine Choplin, en fera un moment de lecture inoubliable. Du grand art !

Comment est né ce roman ?

Antoine Choplin Un voyage au Japon et particulièrement à Naoshima et Teshima, ces îles qu'on appelle des « îles d'art » a été une sorte d'élan initial à ce texte. L’histoire de ces îles est particulière. Un jour, alors que ces îles avaient été soumises pendant à peu près un siècle à une sorte d'extractivisme dans le domaine du métal (qui a été très dommageable pour cet environnement somptueux), un mécène milliardaire japonais a décidé d'en faire ce qu'il a appelé un « paradis sur terre ». Pendant une quinzaine d'années, il a fallu nettoyer ces deux îles. On a demandé aux ouvriers de contribuer à ce nettoyage. Quand la place a été nette, que le monde de l'art a commencé à venir coloniser cet espace, les autochtones en ont été évincés, en raison de la hausse des loyers. Cet endroit avait pourtant été le leur. C’est ce qui est arrivé à Masao, un des personnages de ce roman, qui travaille comme ouvrier dans la dernière usine encore en activité. Ce qui m'a intéressé et qui fait écho à un certain nombre de mes livres, c'est cette conflagration entre des gens simples et ce monde artistique. Et plus particulièrement, non pas la fixation du conflit ou de l'antagonisme, mais plutôt la recherche d'une sorte de trait d'union possible entre ce monde de l'art et les vivants, quels qu'ils soient, quelles que soient leur origine, leur culture, etc.

 

Que raconte ce roman ?

A. C. Des retrouvailles ! Entre Masao et Harumi, sa fille, après plus de dix ans. Le roman ne fait qu'épier au plus près, au plus pudique, parfois jusqu'au paradoxe, presque au plus silencieux, cette possibilité de retrouvailles.  Raconter ces retrouvailles, c'est convoquer deux temporalités. Celle du passé : que s'est-il produit pour que ces deux personnes soient séparées ? (L'histoire revient donc sur quelques épisodes, parfois tragiques de ce passé.) Et une temporalité du présent : quelles sont les circonstances qui autorisent ou qui vont faire obstacle à la possibilité pour ces deux personnes de se retrouver ? Harumi revient et est devenue architecte, ce qui est, pour son père, une très grande fierté et, en même temps, en étant architecte, elle revient travailler dans ce monde artistique pour lequel il a forcément une sorte de perception pour le moins ambivalente. Cela serait plutôt constitutif d’une sorte d'obstacle. Et pourtant, c'est cette question de l'art, sans doute, qui va possiblement leur permettre d’à nouveau sceller quelque chose.

 

La barque construite par Masao est-elle une sorte de trait d'union possible ?

A. C. Au centre de cette histoire, elle permet de tenir un cap. Mais peut-être qu'avant cela, elle permet d'échapper au naufrage. (Des vocations très opposées d'une certaine façon !  Notons la vocation magnifique que Masao va lui inventer à la fin du livre, ce cap très particulier qu'il va lui assigner et ce qui va se jouer à cet endroit-là.) Ici, j'ai l'impression d'avoir été confronté encore plus que dans mes précédents livres à la question du silence. Un silence qui est le fait d'une histoire difficile à porter, à assumer, pour Masao. Peut-être certainement un silence qui est inhérent à la personnalité même de ce personnage, peut-être un surcroît qui serait lié aussi à ce que j'ai perçu, sans en être du tout un exégète ou un connaisseur, de la culture japonaise. Il m'a semblé que le silence devait être partout dans ce texte. Un paradoxe pour quelqu'un qui veut utiliser des mots et raconter une histoire !

 

L’histoire est aussi ponctuée d’humour, d’espièglerie.

A. C. Oui, comme dans la vie. Mais la tragédie, il ne faut pas la rogner, elle a sa part dans cette histoire et, en même temps, elle ne m'intéresse que par sa capacité, par effet de contraste, à faire apparaître ce qui en est lumineux ou qui plus exactement se rapproche d’une forme de lueur. Certes, le décor peut paraître à certains moments chaotique et sombre mais au premier plan brûle une flammèche d'humanité, une capacité à rester digne, debout, sans faire acte d'héroïsme grandiloquent. Il me semble que c'est par l'effet de ce contraste que la tragédie prend aussi son sens dans ce récit.

 

 

La Barque de Masao est un texte d’une grande finesse, empli d’humanité, de pudeur et de poésie. Un court roman touché par la grâce. Un temps de pause, une parenthèse littéraire d’exception : l’essentiel est là dans les menus détails, dans d’imperceptibles changements. Entre passé et présent, passions et drames, il conte les retrouvailles entre Masao, ouvrier sur l’île japonaise de Naoshima et sa fille Harumi, désormais architecte en poste sur l’île voisine. Leur dernière entrevue date de dix ans. Pourquoi et comment se retrouvent-ils ? La nature, les silences, les arts tout comme l’espièglerie, l’humour et la dignité sont autant de lueurs sur le chemin de leurs retrouvailles. Ici, tous les mots comptent, jusqu’au dernier.

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