Comment le personnage de Martine a-t-il été perçu par les différentes générations de lecteurs et en quoi son image les a-t-elle influencés au cours des soixante-dix dernières années ?
Laurence Boudart Dès la première aventure, Martine à la ferme, le succès est au rendez-vous. La série devient un incontournable dans le paysage éditorial des années 1950 et 1960. Pour les enfants et les adultes, Martine conjugue deux éléments apparemment irréconciliables : la normalité et le rêve. L’héroïne ressemble à ses lecteurs et lectrices car ses histoires s’inscrivent dans un quotidien réaliste : ils rêvent de lui ressembler et de vivre les mêmes aventures qu’elle. Comme Martine est une petite fille dynamique et bien élevée, elle séduit tout le monde ! Ensuite, dans les années 1970 et 1980, à la faveur des évolutions sociales et d’une offre plus large en matière de littérature pour la jeunesse, l’aura de Martine décline légèrement. Elle passe parfois aux yeux de certains comme une héroïne un peu datée. Pourtant, ses créateurs continuent à la faire évoluer et à donner d’elle une image de plus en plus autonome, variant ses activités comme le cadre de ses aventures. Avec le décès en 2011 de Marcel Marlier, son dessinateur, la série s’interrompt. Casterman mène ensuite une étude afin de cerner les contours du lectorat et de mieux cibler ses attentes. Il constate que les albums sont davantage lus par un public plus jeune, âgé d’entre 4 et 6 ans, contre 7 à 9 ans à ses débuts. C’est pourquoi il entreprend une vaste campagne de relooking et une réécriture complète des textes, dans le but de s’adresser à un enfant plus jeune.
En quoi les illustrations de Marcel Marlier ont-elles contribué au succès et à la longévité des albums ?
L. B. Les dessins de Marlier sont uniques et identifiables au premier coup d’œil. Travailleur infatigable, perfectionniste jusqu’au bout des ongles, il a toujours veillé à rendre ses dessins impeccables, justes et hyperréalistes. Il en résulte des illustrations extrêmement précises et fourmillant de détails. Chaque lecture est l’occasion d’une nouvelle découverte.
Comment les histoires de Martine reflètent-elles les changements sociétaux et culturels des sept dernières décennies ?
L. B. Née dans l’essor des Trente Glorieuses, Martine vit ses premières aventures dans un monde séduit par le progrès, sensible aux loisirs, aux transports, à la vie domestique ou aux modes de consommation. À partir des années 1970, l’héroïne prend de plus en plus d’initiatives, à l’image d’une société qui libère les femmes et intègre davantage les enfants. Elle multiplie les activités et a soif d’apprendre. Dans les années 1980 et 1990, certaines intrigues se complexifient – comme le monde – mais Martine affronte les difficultés. La nature, on l’a vu, acquiert également une place croissante dans la série, au diapason d’une société de plus en plus sensibilisée aux questions environnementales.
Quelles seront ses prochaines aventures ?
L. B. Depuis 2021, quatre nouveaux albums sont sortis : Martine au Louvre, Martine au château de Versailles, Martine en Bretagne et, en 2024, Martine à Paris. Tout en respectant le souhait de Marcel Marlier, qui avait demandé qu’aucun dessinateur ne lui succède, Casterman a choisi de poursuivre l’aventure avec de nouvelles histoires qui emmènent la fillette dans des lieux emblématiques. Celles-ci associent des photos prises pour l’occasion et des dessins originaux de Marlier, piochés dans les albums existants. Une nouvelle histoire est construite de toutes pièces, avec un texte signé par Rosalind Elland-Goldsmith, autrice et traductrice jeunesse, qui a réécrit les albums en 2015-2016. Quant aux prochains titres, chut ! C’est un secret bien gardé !
Depuis 70 ans, les albums de Martine enchantent les lecteurs des aventures de cette héroïne attachante. Créée en 1954 par Gilbert Delahaye et illustrée par Marcel Marlier, la série a su captiver des générations grâce à des histoires simples et des illustrations détaillées et chaleureuses. Chaque album explore les thèmes de l'enfance, de l'amitié et de la découverte, offrant aux jeunes lecteurs des récits universels, dont le dernier, Martine à Paris, nous fait découvrir la capitale. Martine traverse les époques tout en conservant son charme et sa liberté. Elle est devenue un des symboles de la littérature de jeunesse.