Littérature française

Sylvain Prudhomme

L’enfant, là-bas, près du lac

L'entretien par Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Apprendre un secret familial. Braver des silences et des interdits. Enquêter. Contrarier des certitudes sur la solitude et la fatalité. Se délecter d’une fiction magistrale, fulgurante d’émotion et bouleversante de poésie. Lire le nouveau roman de Sylvain Prudhomme :  impératif en cette rentrée !

Comment présenter votre roman ?

Sylvain Prudhomme - La première scène se situe en Allemagne, en 1945, après l'armistice. Un jeune soldat français rencontre une jeune femme allemande. La guerre terminée, le désir reprend ses droits mais leur amour est interdit. Deux générations plus tard, à l’occasion de l’enterrement de cet ancien soldat, Simon, son petit-fils, apprend que ce grand-père a eu un fils dont il n’a jamais parlé, qu’il n’a jamais reconnu et qui vit toujours en Allemagne. Il découvre un versant douloureux et caché de cette histoire d’amour, bouleversé d’apprendre que ce fils a vécu cet abandon et que toute sa famille est dans le déni de son existence. Simon est en pleine séparation et au début d'une solitude nouvelle dont il découvre les aléas. Tout à coup, il y a quelque chose qui l'appelle chez cet homme, là-bas, au loin. Il veut en savoir davantage et braver le silence familial et les interdits. Notamment celui de sa grand-mère. Il décide malgré tout d’interroger ceux qui veulent bien lui parler alors qu’il est montré du doigt comme le mauvais petit-fils qui s'intéresse à une histoire à laquelle on ne doit pas s'intéresser.

 

Comment est né ce texte ?

S. P. - Ce roman est un peu inspiré de mon histoire familiale, de celle de mon grand-père. Moi aussi j'ai mené cette enquête. J’ai déjà parlé de ce grand-père fermier en Algérie avant l’indépendance dans mon roman Là, avait dit Bahi où deux pages « un peu bizarres » évoquaient cette histoire d'amour avec une femme allemande après la guerre. Quand j'ai appris qu'il y avait un enfant, c’était un peu comme si, à partir d’un détail, en grossissant, je voulais en savoir plus. Comme dans le film Blow-Up où un photographe découvre qu'il a photographié un crime à l'arrière-plan sans s'en douter. Moi aussi je me suis dit qu’il fallait absolument que j'aille voir de plus près toute cette histoire.

 

Un de vos personnages vous a-t-il particulièrement touché ?

S. P. - Face à des interdits, Simon se découvre aussi des alliés. Souvent quand des portes se ferment, d'autres s'ouvrent. C'est un livre sur le partage entre ceux qui veulent briser le silence et ceux qui en sont les gardiens. Cela va parfois de pair avec l'histoire personnelle de chacun. Certains ont souffert du silence, c’est le cas de ce grand-oncle qui propose de lui parler. Un homme que Simon a toujours considéré comme pris dans le glacis du silence familial. Il fait partie d’un réseau d'alliés secrets de M., le fils abandonné, un réseau de ceux qui ne supportent pas l'effacement, le passage sous silence de son existence. Ces personnages sont en empathie avec sa souffrance car ils ont eu à en faire l'expérience, à un moment ou un autre, quand ils l'ont croisé. La scène qui donne son titre au roman, c'est ce grand-oncle qui la raconte car il en est resté bouleversé.

 

Le temps de l’enquête suit celui des saisons. Des liens se distendent et d’autres se nouent.

S. P. - J'avais envie de raconter cela, le fait que dans la séparation, quand des liens se brisent, beaucoup de choses naissent. Il y a une sorte de qualité de vérité avec les gens avec lesquels on parlait d’habitude de façon plus polie, une acuité que crée une situation de crise et de solitude. J’ai essayé d’explorer cela, la solitude et la sortie de la solitude. Ce n'est pas le récit d’une enquête familiale, j’ai vraiment voulu écrire un roman. Cela m'a pris du temps pour passer du réel à la fiction. J'ai resserré sur ce que je voulais raconter de plus essentiel pour moi : comment quelqu’un qui se trouve dans une situation de solitude qui lui semble éternelle, irréparable va chercher quelqu’un d'encore plus abandonné que lui. Avec l'intuition que la vie de cet autre a quelque chose à lui dire. On découvre petit à petit que si la vie de M. a été douloureuse, elle n'a pas été assignée au malheur, elle a continué. À mesure que Simon fait ce chemin vers lui, lui aussi retrouve une forme de joie. J'ai travaillé pour dégager cet arc, ce lien entre ces deux esseulés et j’ai écrit mon roman autour de cela.

 

Lors de l’enterrement de son grand-père, Simon apprend que celui-ci a eu un enfant juste après la  guerre et dont il n’a jamais parlé. Bouleversé par ce secret familial, fragilisé par sa récente séparation, Simon part sur les traces de cet oncle abandonné. Déterminé à briser les silences, il mène son enquête en dépit des interdits familiaux. Du Sud de la France jusqu’au bord du lac de Constance, au fil des saisons et des confessions, ce roman à la fois élégant, émouvant et très poétique bouscule les certitudes sur l’abandon, la solitude, la fatalité. Une pépite littéraire qui s’ouvre sur un élan de désir et d'amour et se clôt sur un élan d'amour et de désir de vivre. Une splendeur !