Littérature française

Hadrien Bels

Une jeunesse à Dakar

Entretien par Emmanuelle George

(Librairie Gwalarn, Lannion)

Après Cinq dans tes yeux (L’Iconoclaste et Pocket), un premier roman ancré à Marseille, Hadrien Bels rend hommage à Dakar et sa jeunesse. Il confirme son inventivité et sa drôlerie en mettant en scène trois amis de milieux sociaux différents, tiraillés entre rêves et réalité, quelques jours avant et après le baccalauréat.

Pourquoi nous embarquer dans les rues d'un Dakar contemporain ?

Hadrien Bels - Je suis un vrai citadin, j'adore l'énergie des villes, les sensations qu'elles procurent. Pour moi, Dakar est une ville très réconfortante. Je suis marié avec une Sénégalaise mais je connaissais cette ville depuis très longtemps, bien avant mon mariage. J'avais envie d'écrire sur cette ville bouillonnante et sur le quartier de Diamaguène, un mot wolof qui signifie « la paix c'est mieux ». Outre sa dimension symbolique, c'est le quartier de ma famille en banlieue de Dakar, en face du camp de Thiaroye où ont été mitraillés par l'armée française des tirailleurs sénégalais en 1944.

 

Le titre du roman fait référence à un des trois personnages principaux. Qui est-elle ?

H. B. - C'est Tibi Toubab, Tibi la blanche, une fille de l'ethnie Soninké, une ethnie assez conservatrice. Une fille qui a déjà des papiers français parce que son grand-père a travaillé sur le port de Marseille. On la surnomme Tibi la Française pas uniquement à cause de ses papiers : elle résiste à tout, à faire le ménage, à préparer le thiep, etc. Elle a un fort caractère et ce qui la caractérise, c'est son envie d'aller en France après le bac. Voyage qui dépendra de son père et de la mention qu'elle obtiendra.

 

Elle a deux formidables amis. Qui sont-ils ?

H. B. - Il y a Neurone qui excelle à l'école et que je qualifie de « cerveau bien huilé » en faisant référence au fait que son père possède une grosse concession automobile. Il est diola et aime Tibilé en secret. Il est aussi anti-establishment, anti-système. Le roman se passe en 2021 au moment des soulèvements du mouvement France dégage que Neurone approuve tout en étant un fils de nantis. Issa, quant à lui, est un styliste, enfin un couturier qui se dit styliste. Il est peul et vit avec une mère répudiée dans une famille recomposée. Pour avoir le bac, il va utiliser tous les moyens possibles, y compris aller voir un marabout et obtenir un « stylo Bic marabouté ».

 

Le propos du roman est-il la jeunesse dakaroise ?

H. B. - Je voulais écrire un texte sur le Sénégal d’aujourd’hui, sur sa jeunesse aussi. L'enjeu du bac est fort en France mais au Sénégal, il prend des dimensions hallucinantes. Pour les jeunes, cela détermine où ils vont aller ou pas. Ce qu'ils vont faire, devoir faire. La jeunesse sénégalaise est une jeunesse consciente, à la fois des enjeux politiques mais aussi de la hiérarchie familiale et de ce qu'elle va devoir faire pour sa famille. Une jeunesse qui ne va pas pouvoir se perdre, qui a toujours en tête le Sénégal. C'est fort et en même temps pesant. L'adolescence est ainsi le moment de la vie où on est au cœur de l'espace urbain, on y traîne avec ses amis : c'est une bonne façon de parler des villes.

 

L'histoire de ces ados est souvent liée au passé familial. Souhaitiez-vous évoquer certains faits en particulier ?

H. B. - Non. Quand j'écris, je suis mes personnages qui décident où ils m'emmènent. Via l'histoire de l'oncle Rigobert, j'évoque le naufrage du Joola qui, en 2002, a fait plus de 1800 morts, plus que celui du Titanic. De plus, j'adore les digressions : je fais ainsi référence à la Françafrique de la fin des années 1990 dans une scène qui se déroule dans une boîte de nuit.

 

Votre écriture est inventive, énergique, gouailleuse. Vous jouez avec les mots, le rythme, en multipliant les références au wolof, à la chanson, etc. Il y a une bande son dans votre roman !

H. B. - C'est un moyen de mettre en avant la culture sénégalaise, de dire à quel point j'aime ce pays. J'avais envie de faire découvrir le Mbalakh, la danse populaire du Sénégal, qui n'est pas seulement représenté par Youssou N'Dour : c'est un mouvement musical beaucoup plus important. Le Sénégal est un pays extrêmement riche, à la fois par ses ethnies, sa culture, sa gastronomie, etc. Le thiep est un plat incontournable et j'y fais référence. Mon roman est un hommage. Ce qui ne m'empêche pas de dénoncer ce qui dérange : quand on écrit, on ne le fait pas uniquement pour être complaisant.

 

À propos du roman
Envie d'un roman vivifiant, drôle, intelligent ? Emparez-vous du deuxième roman du talentueux Hadrien Bels. Dans la banlieue de Dakar, de nos jours, emboîtez le pas à un trio d'amis prodigieux quelques jours avant et après les épreuves du baccalauréat. Tibilé est déterminée à partir en France, Neurone vise une école prestigieuse, Issa est prêt à tout pour devenir un grand styliste : tous les trois partagent un même tiraillement. Fuir le Sénégal ou rester ? Étudier en France ou dénoncer son néo-colonialisme ? Profiter ou lutter contre la corruption ? Dans une langue métissée de gouaille urbaine et de wolof, ce roman est un irrésistible hommage à Dakar et sa jeunesse. Et à la magie de l'amitié !

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