Pouvez-vous nous présenter l'American Library et votre lien avec cette institution ?
Janet Skeslien Charles - La bibliothèque a vu le jour en 1920. Elle est le fruit d’envois par les Américains de plusieurs milliers de livres aux soldats venus combattre en Europe pendant la Grande Guerre. Ces ouvrages ont formé la collection d’origine de l’ALP. Aujourd’hui, l’ALP existe toujours. De nombreuses nationalités fréquentent la bibliothèque, ouverte aux membres même le dimanche. Quant à moi, je suis américaine mais mariée à un Français et je partage mon temps entre le Montana et la France. J’ai été longtemps bénévole à la Library où j’animais des ateliers d’écriture avant d’être chargée pendant deux ans de la programmation culturelle. Les bibliothécaires de l’ALP ont inspiré mon histoire.
Le roman se passe à la veille et pendant la Seconde Guerre mondiale et met en scène la directrice de l'ALP, une certaine Miss Reeder. Qui est-ce ?
J. S. C. - Dorothy Reeder a réellement existé. C’était une femme d’action. En 1929, cette bibliothécaire de la Library of Congress (notre BNF) a quitté Washington pour un poste à l’ALP. Quand la guerre a éclaté, l’ambassade américaine a préconisé à ses compatriotes de rentrer au pays, mais Dorothy Reeder est restée. Elle a mis en place un Service aux Soldats, ce qui a permis, entre septembre 1939 et mai 1940, d’envoyer 100°000 livres aux soldats français, anglais et aux légionnaires. La Bibliothèque est toujours restée ouverte pendant la guerre. C’est ce que je raconte dans mon livre.
Il y a une deuxième femme très importante dans votre roman, Odile Souchet. Parlez-nous d'elle.
J. S. C. - Odile Souchet est une Française qui va travailler pour l’ALP et jouer un rôle déterminant dans mon histoire. Elle apparaît dans le livre à la fois pendant son activité et également une fois rentrée dans son pays. Odile Souchet m’a été inspirée par une libraire parisienne qui existe réellement, Odile Hellier, et qui fait un travail extraordinaire de soutien des auteurs, qui est passionnée et qui donne de fabuleux conseils de lecture. Mon roman est une ode aux bibliothécaires et aux libraires, pour leur passion, pour ceux qui défendent nos livres.
Il est beaucoup question de livres dans votre roman, mais également de solidarité, du courage et du rôle joué par les bibliothécaires de l'ALP pendant la guerre, dites-nous en plus.
J. S. C. - Je crois qu’on peut créer une vraie communauté grâce aux livres. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’en français on appelle les événements littéraires des rencontres ! Quand j’étais petite, je lisais des courtes biographies de Marie Curie et Eleanor Roosevelt. Je me souviens très bien du sentiment que j’ai eu lorsque j’ai découvert leur histoire, leur courage, leur passion. J’ai été encouragé grâce à ces lectures à trouver ma passion. Les livres peuvent informer, divertir et donner du courage. On voit dans mon roman que l’amour des mots crée la solidarité et le besoin d’être ensemble.
Votre livre est très romanesque, vous y mêlez faits historiques et histoires personnelles, l'amour y a une place non négligeable. L'amour est-il un moteur pour agir ?
J. S. C. - Odile est motivée par plusieurs amours : l’amour de la littérature et de ses personnages préférés, l’amour de la bibliothèque et de sa ville, l’amour pour un ami de cœur et pour sa famille, et l’amour pour l’homme de sa vie – enfin, pour les hommes de sa vie. Souvent dans les romans, l’amour romantique l’emporte. Ici ce n’est pas tout à fait le cas, mais il faut lire le livre pour savoir !
C'est aussi un livre sur le pouvoir et la place des livres dans une vie, qu'en pensez-vous ?
J. S. C. - Certes ! Sans les livres, je ne serais pas en France. J’apprécie la place des livres en France (de la librairie du quartier jusqu’aux bibliothèques dans la plupart des foyers), et dans la langue française, comme le verbe bouquiner. Odile est une passionnée des livres et son action la plus importante est de transmettre cette passion aux autres.
Le roman commence à la fin des années 1930. Mrs Dorothy Reeder dirige la Bibliothèque américaine à Paris. Elle engage une jeune Française, Odile Souchet, dont le père est commissaire de police. La guerre éclate, Paris est occupé, les dénonciations de juifs vont bon train. Malgré les injonctions de fermeture, la courageuse Mrs Reeder, entourée de ses bibliothécaires, va tout faire pour maintenir l’activité de la bibliothèque. Quant à Odile, elle s’éprend d’un certain Paul qui est un collègue de son père. Mais Odile finira par comprendre que l’amour rend parfois aveugle. Un fabuleux roman qui nous transporte dans le monde de la littérature et qui rend hommage à tous les « guerriers silencieux » grâce auxquels de nombreuses vies ont été épargnées. Je vous incite à lire ce livre qui vous happe, tant par l’histoire de ces vaillants bibliothécaires que par le témoignage historique qu’il comporte.