Littérature française

Colombe Schneck

Sœurs de miséricorde

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photo libraire

Chronique de Françoise Gaucher

Librairie Le Coin des livres (Davézieux)

Dans ce roman, Colombe Schneck dresse un portrait de femmes fortes. Azul est née dans les années 1960 en Bolivie. Le soleil, les couleurs chatoyantes, les beaux fruits mûrs et juteux et sa famille sont sa seule richesse. Les différents régimes politiques de la Bolivie mènent le pays à la faillite. Devenue jeune femme et maman, Azul doit alors partir, laisser ses enfants afin de se rendre en Europe où elle espère gagner de l’argent qui permettra d’améliorer le quotidien de sa famille. Tout quitter… Elle aura pour soutien tout au long de son parcours des religieuses. Des sœurs qui s’occupent des miséreux en Bolivie, et d’autres qui accueillent les femmes sans papiers en France. Elles l’aideront à vivre autrement et à découvrir que les choses ne sont pas si mauvaises que l’on pense. Et malgré la richesse matérielle de ses employés européens, Azul est infiniment et humainement plus riche qu’eux. Un magnifique roman porté par la sensibilité de l’auteure. Un roman indispensable pour comprendre ce qui est important dans la vie.
Par Françoise Gaucher, Librairie Le Coin des Livres (Davézieux)


C’est une question qui est à l’origine de ces quelques semaines passées en Bolivie grâce à la bourse de la mission Stendhal.
Une interrogation qui m’a bouleversée. Il fallait que je comprenne, que je trouve une réponse. Je savais seulement que je trouverai la réponse dans ce pays dont je ne connaissais rien. Ni l’histoire, ni les langues, ni les fruits.
La femme qui me l’a posée était venue m’aider à la naissance de ma fille.
Elle me paraissait être à l’opposé de moi : une indigène quechua, élevée par une mère célibataire à Chuqui-Chuqui, village situé à deux heures de Sucre, analphabète, immigrée économique en France, sans-papiers, séparée depuis deux ans de ses enfants.
À ses côtés, il me semblait que je possédais tout et que la plainte m’était interdite.
Pourtant, cette femme m’a demandé, d’un air gêné, si elle me donnait assez, si elle en faisait assez pour moi.
Je n’en revenais pas qu’elle me pose une telle question. Que pouvait-elle me donner que je n’avais déjà ? Que pouvait-elle m’offrir alors que j’avais le sentiment qu’elle ne possédait rien ?
C’est pour répondre à cette interrogation que je me suis rendue avec elle en décembre 2013 en Bolivie. Nous avons voyagé de Santa Cruz de la Sierra, capitale économique du pays, jusqu’à Chuqui-Chuqui.
J’ai découvert un jardin aux dix sortes de mangues différentes et aux dix nuances de rose.
J’ai découvert ce que cette femme – elle se nomme Lucia Daza Trigo – avait à m’offrir et dont j’étais dénuée.
La bienveillance des liens, le don, la miséricorde, la sororité, l’absence de jugement.
Dans ce pays si différent de ce que je pouvais connaître, culture, cuisine, langue quechua, habitat, commerces, règles de vie, solidarité familiale, j’ai trouvé une liberté qui m’a permis d’écrire Sœurs de miséricorde.
En Bolivie, mon monde imaginaire n’était pas éloigné du monde réel. Je pouvais passer de l’un à l’autre. J’étais dans la joie d’écrire ce roman où les limites de mon univers familial, cadre de mes livres précédents, n’avaient plus de place.
J’accédais à ces jardins plantés d’arbres et je pouvais passer de longs moments à tenter de décrire les nuances, les odeurs, les goûts, les textures des fruits inconnus, à observer les relations de voisinage ; tout cela était nouveau et a transformé aussi ma manière d’écrire.
Moi qui osais à peine mettre un mot devant l’autre, qui avait peur de trop en faire, je me suis abandonnée à la luxuriance d’un pays sans argent. Je suis revenue libérée de nombreuses contraintes, de barrières que je m’imposais dans mon écriture, comme dans ma vie réelle.
En Bolivie, j’ai reçu un cadeau sans prix, la liberté d’être soi et je ne remercierai jamais assez Lucia Daza de m’avoir accompagnée, et la mission Stendhal de m’avoir permis ce voyage en moi-même et autour du monde.
Par Colombe Schneck