Bande dessinée

Marzena Sowa

Petit Pays

illustration
photo libraire

Chronique de Caroline Derquin

Librairie des Halles (Niort)

Le 7 avril 1994 débute au Rwanda un génocide qui, en trois mois et dix jours, sera responsable de la mort de 800 000 à 1 000 000 de personnes, majoritairement des Tutsis. Ce conflit s’étend aux pays voisins, notamment au Burundi, où Gaël Faye a ancré son Petit Pays, texte devenu majeur dans la littérature française contemporaine adapté aujourd’hui en bande dessinée.

Il est des textes qui marquent une vie de libraire : Petit Pays de Gaël Faye est, à n’en pas douter, l’un d’entre eux. Quand il paraît en 2016 aux éditions Grasset, ce premier roman de l’auteur-compositeur-interprète est une déferlante qui s’abat sur les libraires et les lecteurs. Un succès certain pour ce récit qui remporte alors le prix Goncourt des Lycéens, gage de son impact auprès du public, et qui, sans être autobiographique, est largement inspiré de la vie de son auteur. Cette histoire, celle de Gabriel, jeune garçon d’une dizaine d’années vivant au Burundi avec son père, entrepreneur français, sa mère, rwandaise, et sa petite sœur, Ana, a su marquer les esprits et reste, aujourd’hui encore, en 2024, un incontournable de la littérature française. Cette année, on célèbre le terrible trentième anniversaire du génocide. C’est cet événement, sombre période de l’Histoire, que nous racontait alors Gaël Faye, depuis le Burundi, à travers le regard d’un enfant. Trente ans plus tard, 2024 signe donc l’arrivée dans le rayon bande dessinée de ce texte majeur. Le scénario revient à Marzena Sowa, le dessin à Sylvain Savoia et leur travail d’adaptation est remarquable. Dès les premières pages, l’innocence de l’enfance de Gabriel s’oppose à la cruauté du monde que lui dessine son père, à la guerre qu’il tente de lui expliquer, au conflit qui oppose les Hutus aux Tutsis. Petit à petit, le conflit se rapproche, toujours présent mais presque invisible à ce regard d’enfant qui comprend bien que quelque chose bascule quelque part. Mais il ne peut en saisir totalement les enjeux, lui qui est en sécurité dans la maison de son père français. Puis tout explose et l’innocence vole en éclats. Sa mère se perd, disparaît à la recherche d’une famille qui semble avoir été engloutie par le Rwanda ; son père tente de les garder à l’abri et lui, Gabriel, est spectateur impuissant d’un monde, d’un univers qui prend fin autour de lui. Le conflit, rapidement, n’épargne plus personne et tous, jusqu’aux enfants, se retrouvent pris au piège de la machine de la haine. Adapter un texte de littérature en bande dessinée est, déjà, en soi, un défi. Adapter Petit Pays est une épreuve encore bien différente. Le génocide des Tutsis est un événement qui n’a que 30 ans : ceux qui y ont survécu, pour beaucoup, vivent encore et donc se souviennent. Sowa et Savoia donnent, avec brio, une nouvelle dimension au texte de Gaël Faye.