Littérature française

Simonetta Greggio

Les Nouveaux Monstres

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photo libraire

Chronique de Claire Authier

Librairie Fontaine Victor Hugo (Paris)

Après Dolce Vita, Simonetta Greggio revient avec un récit passionnant qui renoue avec la tradition du roman politique. Son enquête détaillée laisse le lecteur mal à l’aise et ahuri par les révélations qui s’y succèdent. Ce roman est un choc, il exige une prise de conscience dérangeante, mais salutaire.

Si Dolce Vita (Le Livre de Poche) revisitait l’effervescence italienne des années 1960, la décadence des années de Plomb et se terminait avec l’assassinat du juge Aldo Moro en 1978, Les Nouveaux Monstres raconte l’Italie d’après les Brigades rouges, la naissance de l’ère berlusconienne et s’achève avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel. Le récit commence au moment des obsèques du prince Valfonda, héros déchu de Dolce Vita. À cette occasion, Aria, la fille du prince, retrouve son oncle Saverio. Depuis toujours, une relation très forte unit les deux personnages. Journaliste d’investigation écrivant pour le journal Specchio Verde, Aria entretient une correspondance assidue avec Saverio, dans laquelle elle lui relate petit à petit le fruit de ses recherches. Aria a soif de vérité et de justice, elle s’évertue à révéler les connexions qui existent entre le pouvoir politique italien et la mafia. Elle réalise très vite, au cours de son enquête, que les plus proches soutiens de Berlusconi sont liés à la Cosa Nostra. Les faits évoqués sont édifiants et la démonstration implacable. De son côté, Saverio, jésuite de son état, accepte de révéler à Aria des secrets de famille qui lèvent le voile sur l’histoire de ses parents. Celle-ci prend soudain conscience du rôle joué par Saverio depuis sa plus petite enfance. Tout en découvrant la vérité sur son histoire personnelle, Aria progresse dans son enquête journalistique comme si les deux allaient de pair. Derrière la figure d’Aria se cache évidemment celle de l’auteure, française d’adoption mais italienne d’origine. Simonetta Greggio dénonce une Italie corrompue, gangrenée par la mafia et s’interroge sur l’incapacité du pays, malgré son rayonnement mondial, à se sortir de cette situation. C’est la sphère politique tout entière qui est prise au piège. Et rien ne semble pouvoir enrayer cette spirale infernale. Malgré la mobilisation d’intellectuels comme Nanni Moretti et l’acharnement de certains juges qui ont, au péril de leurs vies, dénoncé et condamné ce système, le pouvoir italien a bien du mal à abandonner ses mauvaises habitudes. Et pourtant, depuis quelques mois, l’Italie semble vouloir repartir du bon pied et faire table rase de son passé. Le récit, rythmé et construit comme un roman policier, est haletant et palpitant de bout en bout. Simonetta Greggio laisse le lecteur sidéré. La parution de son livre en Italie pourrait avoir un effet dévastateur. N’oublions pas les polémiques qu’il pourrait susciter, les consciences qu’il pourrait réveiller et le malaise qu’il pourrait créer. Saluons le courage de cette femme qui a été au bout de sa démarche intellectuelle malgré les risques encourus. Difficile de ne pas établir de parallèle avec Roberto Saviano qui, depuis la sortie de son livre sur la mafia napolitaine, Gomorra (Folio), vit sous protection judiciaire.