Bande dessinée

Baudoin

Les Enfants de Sitting Bull

illustration
photo libraire

Chronique de Bruno Moulary

Librairie Le Cadran lunaire (Mâcon)

Couma aco (L’Association), Alph’art du meilleur album à Angoulême en 1992, avait été l’occasion pour Edmond Baudoin d’évoquer John Carney, son grand-père maternel, personnage solitaire, charismatique et attaché à son arrière-pays niçois. Cette fois, l’auteur s’attaque à l’itinéraire de son grand-père paternel, Félix Louis Baudoin, né en 1863 et parti à 12 ans vivre une vie d’aventure.

Cette histoire, les lecteurs de Baudoin la connaissent déjà en partie grâce au mini-album Made in U.S. publié en 1995 (L’Association), dans lequel le grand-père se prénommait Joseph. Nombre d’éléments de cette vie trépidante étaient déjà là, notamment le jeune homme atteint de variole et attaché au mât du bateau afin de l’isoler du reste de l’équipage, sa participation au creusement du canal de Panama, la construction du chemin de fer à travers l’Ouest, sa rencontre avec Buffalo Bill, sa présence à ses côtés lors de la reddition de Sitting Bull… Dans Les Enfants de Sitting Bull, quantité des épisodes esquissés précédemment prennent une nouvelle ampleur : son poste de vigie à bord d’un baleinier, son travail en compagnie d’Indiens mohawks dans l’édification du pont de Brooklyn, son engagement dans la marine des États-Unis. Ses exploits, dignes des plus grands romans d’aventures et racontés par le père de Baudoin à ses deux fils, faisaient bien évidemment rêver le jeune Edmond et son frère Piero. Dans les indispensables Entretiens avec Edmond Baudoin, publiés en 2001 aux éditions Mosquito, l’auteur avouait : « Je ne sais pas trop comment m’y prendre avec l’histoire de ce grand-père paternel qui est la plus dingue qui soit. Elle tient du gag. On croirait de l’affabulation ». Si cette histoire fascine depuis longtemps Edmond Baudoin, elle l’interroge non seulement sur la véracité des faits, mais surtout sur l’écart possible entre cette mythologie et la réalité. C’est en faisant de ces questionnements son sujet que Les Enfants de Sitting Bull se distingue et transcende le précédent Made in U.S. Si des documents reproduits dans l’album corroborent les péripéties attribuées au grand-père, Edmond Baudoin, malgré son admiration, triture ces histoires, les interroge, en accepte la beauté tout en se refusant à occulter les « jours de rien » qui, sans doute, étaient loin de l’héroïsme affiché. Avec une terrible question en suspens : « pourquoi ces hommes, dans les semaines vides, auraient-ils été plus beaux que d’autres colonisateurs du monde ? » Entre ces deux albums, l’auteur a passé trois ans en Amérique, « dans le pays des Mowhaks », découvrant tous ces paysages avec un émerveillement d’enfant, mais également le choc de l’art inuit et la rencontre avec l’histoire de la population amérindienne que l’on pousse à s’adapter ou à disparaître. L’Homme qui tua Liberty Valence se termine par cette célèbre phrase : « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ». Edmond Baudoin, en questionnant sa mythologie familiale, nous offre à la fois un album pétri d’enfance et d’aventures, qui se refuse à occulter les à-côtés de cette légende et à en nier les implications contemporaines. Les Enfants de Sitting Bull est un des sommets de l’œuvre construite par Edmond Baudoin.