Essais

Jacques-Olivier Boudon

Le Plancher de Joachim

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photo libraire

Chronique de Iris Petit

Bibliothèque/Médiathèque municipale de Tarentaize (Saint-Etienne Cedex 1)

En 1880, le charpentier Joachim Martin pose le plancher d’un château dans les Hautes-Alpes. 120 ans plus tard, lors de travaux de réfection, de nombreux écrits au contenu inédit sont découverts au verso des planches.

On dit que beaucoup de vieux châteaux recèlent un trésor caché. Celui du château de Picomtal, dans les Hautes-Alpes, est bien moins banal que les traditionnelles pièces d’or enfouies dans la cave. En effet, lors de la réfection du plancher du château au début des années 2000, des écrits au crayon apparaissent sur la face jusqu’alors dissimulée des planches. Il s’agit du « journal intime » de Joachim Martin, charpentier au village voisin de Crottes, qui, sur une période indéterminée, a rédigé ses observations et réflexions avant de poser les lames. Au fil de ses phrases, c’est la vie du village qui s’étale, avec ses jalousies, ses malversations et ses frasques sexuelles. Malgré la réputation puritaine de l’époque, de nombreux adultères et autres dépravations furent commis dans ce cadre rural, jusqu’à l’infanticide. Chacun sachant pertinemment qu’il avait intérêt à taire les turpitudes de ses voisins, afin qu’ils gardent le silence sur les siennes propres. Joachim fait aussi preuve d’une certaine conscience sociale, voire politique : il témoigne du coût de la vie quotidienne et de la dure condition des ouvriers. Parfaitement conscient qu’un jour ses mots seraient lus, il interpelle le lecteur en ces termes : « Heureux mortel, quand tu me liras, je ne serai plus », une ébauche de réflexion philosophique sur l’aspect éphémère de la vie humaine, au contraire de la persistance de l’écrit. Ces soixante-douze planches annotées constituent un matériau brut d’une très grande valeur pour les historiens, ainsi que pour les curieux des mœurs de cette époque confrontée aux changements apportés par le progrès technique. Et il n’est pas incongru de penser que les planchers d’autres pièces du château apporteront peut-être un jour encore plus d’éléments aux confessions de Joachim.