Bande dessinée

Galic , Lizano

Le Cheval d’orgueil

illustration
photo libraire

Chronique de Camille Broch

Librairie L'Embarcadère (Saint-Nazaire)

Oui, vous aurez droit à tout dans cette BD : les chapeaux ronds, les galettes-saucisses, les binious, les croix d’hermine, les noms de village à fort taux de consonnes, les légendes mystico-forestières... Mais au-delà du pur folklore, nous faisons ici un bond dans l’histoire d’un grand écrivain.

Le Cheval d’orgueil, c’est d’abord le titre d’un ouvrage de 1975, à teneur largement autobiographique, signé par Pierre-Jakez Hélias. L’auteur y décrit la vie quotidienne de sa famille dans le village de Pouldreuzic, au sortir de la Première Guerre mondiale. L’accent est mis sur l’importance de la religion dans l’éducation, à l’heure même où la République prend en main les écoles et tente d’éradiquer les nombreux patois au profit de la langue française. Fresque sociale d’une époque et d’une région à fort caractère, Le Cheval d’orgueil est un succès éditorial qui consacre Pierre-Jakez Hélias dans le monde des lettres. Mais l’homme, à l’image de son grand-père, est également un formidable conteur qui se fera passeur de la culture bretonne et de ses traditions par des médias aussi divers que des pièces de théâtre, contes, romans, articles, émissions de radio, etc. Dans cette bande dessinée librement adaptée de l’œuvre d’Hélias, les auteurs nous donnent à (re)découvrir cet auteur, sa région, son histoire, à travers ses souvenirs. On y goûte la rudesse d’une vie paysanne dans un village du – justement nommé – Finistère, « la fin de la terre », où le travail aux champs n’est interrompu que par la messe et l’école, où les codes sociaux sont très stricts, où les « rouges » partisans de la République – comme le père d’Hélias – ne sont pas bien vus. Mais ce sont également des souvenirs d’enfance, d’une époque où le petit Perig (avatar d’Hélias) doit faire ses preuves auprès des plus grands pour trouver sa place, en se soumettant à un certain nombre de rites, telles l’impressionnante neuvième vague de la plage du coin, ou encore l’escalade de l’arbre le plus haut du village. C’est finalement l’histoire d’un petit garçon construisant pas à pas sa place dans la société, d’abord au village auprès des enfants, puis dans le monde adulte par le biais de l’éducation et des hautes études à la ville, auxquelles il n’était pas forcément destiné. Cette biographie est entrecoupée des contes et légendes narrés par le grand-père de Perig, qui sont comme des interludes reposants – quoique parfois inquiétants – dans le récit de cette vie paysanne d’après-guerre. Les auteurs s’amusent avec un réalisme magique qui, au détour d’une rue ou d’un arbre, au gré des récits chantants du grand-père, nous amène à croiser le plus naturellement du monde un cochon-cornemuse se rendant à un mariage de basse-cour, un malandrin coiffé d’un chapeau donné par le Diable en personne. Autre élément adoucissant dans cette rudesse ambiante, le dessin de Lizano plutôt caricatural : ses personnages ont des têtes démesurées juchées sur de petits corps, ce qui leur confère une dimension comique. Mais c’est surtout la nostalgie qui prime dans ces quelque 140 pages sur ton sépia, à la manière d’une vieille photographie : la nostalgie de l’auteur pour son enfance, pour sa région, son village, sa langue, ses légendes que, malgré les hautes études et le succès littéraire, il n’aura jamais oubliés.