Bande dessinée

Loo Hui Phang , Philippe Dupuy

L'Art du chevalement

illustration
photo libraire

Chronique de Gwendoline Touchard

Bibliothèque/Médiathèque Trapèze (Boulogne-Billancourt)

Entre hommage historique au travail de la mine et réflexion mythologique, L’Art du chevalement émeut par sa délicatesse. L’histoire d’un homme qui n’ose pas aller vers l’amour et qui trouvera sa voie en traversant le musée du Louvre/Lens, en compagnie de son cheval Pigeon, rescapé des mines.

Orféo, « l’meneur d’quéviaux », remonte son cheval Pigeon à l’extérieur, loin des mines. Ils se retrouveront au musée du Louvre/Lens où les attend une expérience proche du mystique. Tentant de calmer le cheval affolé, Orféo fera l’expérience de l’apparition spirituelle des œuvres. Elles lui parlent, le convainquent d’aller retrouver sa muse Yvette, devenue veuve. L’Art du chevalement, c’est l’art de remonter à la surface, l’art de voir la lumière, de se sortir des mines. C’est la transition entre l’intérieur et l’extérieur, l’Enfer et le Paradis, l’Ascension après la descente aux enfers. Car Orféo, c’est Orphée qui remonte des Enfers, c’est celui qui bride les animaux sauvages et fait chanter les Muses, intermédiaires entre les artistes et les dieux. Ici, les Muses ne sont autres que les œuvres d’art du musée qui le guideront à sa bien-aimée, Yvette, laquelle n’est autre que l’égérie historique des miniers. Et il y a aussi Pigeon. C’est lui qui, comme Pégase, permet la transition entre les hommes et les dieux. Et il mourra lorsque Orféo parviendra à retrouver sa muse. La symbolique est ici très forte. Orféo est parvenu au terme de son épopée, Pigeon disparaît. Parce que son maître est libéré de ses chaînes et parce qu’il est épuisé par les mines – faut-il y voir un hommage au dernier cheval remonté des mines et mort en 1970 ? Le parallèle entre les mines et l’art est très fort. Le musée sert de transition entre la vie et la mort, évoquant l’amour dans toute sa puissance. Le minier, l’ouvrier, c’est l’artiste, ils ont le même vocabulaire, les mêmes matériaux, ils sont égaux devant la mort. Tout n’est que transposition. Chaque être est un artiste, un poète qui peut accéder aux dieux. Le minier, c’est celui qui travaille sous la terre, qui lutte pour ne pas se faire écraser, pour extraire la matière qui servira par la suite à l’artiste. C’est un passeur. D’une grande sensibilité, cette BD sur la quête de l’homme, la vie et la mort, l’amour… joue avec le mythe pour mieux illustrer la puissance spirituelle contenue en chacun de nous et en chacune des œuvres du musée. Avec un style unique, Loo Hui Phang et Philippe Dupuy composent un bel hommage aux mineurs, esthètes des profondeurs sans qui les artistes n’existeraient pas. Une superbe quête mythologique au musée du Louvre/Lens, pleine de poésie et de subtilité.