Polar

Emmanuel Grand

Kisanga

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photo libraire

Chronique de Virginie Vallat

Librairie de Paris (Saint-Étienne)

Emmanuel Grand nous entraîne une fois de plus au cœur d’un libéralisme désinhibé qui n’hésite pas à avoir recours aux assassinats pour maintenir son emprise impérialiste et garder le silence sur ses activités peu catholiques. Bon voyage en Afrique centrale, au gré d’un roman noir, social et politique.

Voilà un polar qui fait du bien, en prise avec le monde d’aujourd’hui et qui dénonce les dérives de notre belle société. En effet, nos enquêteurs sont bien différents des traditionnels commissaires usés par l’alcool et la vie. Place aux nouveaux détectives : les journalistes lanceurs d’alerte qui jouent souvent gros afin de trouver les preuves qui leur permettront de dévoiler un scandale ; ici, un journaliste qui n’a pas oublié son enquête d’il y a une dizaine d’années mais qui, faute de preuves, l’a mise au placard pour ne pas se décrédibiliser. Place également à leurs informateurs ; ici, un employé de l’industrie minière, ingénieur chargé de mettre en place le plus gros projet de son entreprise, pour qui le sens de la morale n’a pas encore été détruit par l’argent et qui reste intrigué par le décès louche d’un de ses collègues. Il va risquer sa vie pour ce journaliste et la vérité. Sa promotion au Katanga l’éloignera également de sa famille restée en France. Une grosse société minière française, Carmin, a obtenu un énorme contrat avec les Chinois du groupe Shanxi en République Démocratique du Congo, dans la province du Katanga. La RDC est un des pays les plus vastes, peuplés et riches d’Afrique, par ses sols et ses ressources en cobalt, cuivre, fer, radium, uranium et diamants. Cet immense pays est en proie à des guerres et une instabilité chroniques depuis des décennies. Joseph Kabila, à la tête du pays depuis le début du millénaire, reste contesté et contestable. Malgré une insécurité omniprésente, rien ne freine le pillage des multinationales, surtout face au plus gros gisement de cuivre jamais repéré sur Terre. Un scandale passé refait surface, menace l’accord et bien plus encore. Le gouvernement et l’armée française sont sur le pont, rien ne doit empêcher ce contrat. Aucun des dérapages passés et des magouilles présentes ne doit transparaître : on fait donc appel à de véritables barbouzes pour museler les initiés. Tout ça va bien sûr dégénérer et devenir de plus en plus sanglant. Chaque protagoniste qui se retrouve au Katanga est cupide et a de l’ambition ; on ne se met pas en danger pour rien. Kisanga nous dépeint le contexte local de la République Démocratique du Congo et mêle deux enquêtes autour d’une société minière si belle, bienveillante et prospère… en apparence. Ce récit est extrêmement bien documenté sur les agissements des fonds spéculatifs mais surtout sur la RDC, la province du Katanga, ses guerres intestines, ses nombreuses milices, armées rebelles, son histoire passée et ses dirigeants. Kisanga est le troisième roman policier d’Emmanuel Grand. Déjà plébiscité par le public et la critique pour son premier titre, Terminus Belz, paru en janvier 2014 (Liana Levi), il a obtenu le prix du Polar SNCF lors de sa parution en poche aux éditions Points. Une intrigue bien menée, une écriture sombre et contextuelle. J’ai été ravie de retrouver l’ambiance congolaise, avec ses sons de rumba et ses bières Primus toujours tièdes. Rien n’est simple, ni calme en RDC, à l’instar de son fleuve. Ne vous fiez pas aux belles images qu’on vous envoie, voyez ce qu’il y a derrière.